The Neon Demon de Nicolas Winding Refn (2016)

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Après un shooting photo où elle pose immobile et ensanglantée, Jesse (Elle Fanning) fait la rencontre de Ruby (Jena Malone), laquelle est tout de suite éprise de fascination pour elle. La maquilleuse fait remarquer quelques instants plus tard que Jesse à l’air d’une biche apeurée, ce que le spectateur ne peut démentir.

Cette héroïne fragile et innocente, qui débarque sur la pointe des pieds dans un univers fantasmagorique au coeur d’une grande ville tentaculaire (Los Angeles), en rappelle d’autres. Sorte de giallo moderne, The Neon Demon convoque aisément les souvenirs du cinéma de Dario Argento. Les déambulations de Jesse dans quelques uns des vastes décors baroques du film rappellent ainsi les errances solitaires et inquiétantes des jeunes héroïnes du maître italien, qu’il s’agisse de la Suzy de Suspiria ou bien la Rose d’Inferno

A l’exemple de Suspiria par exemple, The Neon Demon s’apparente alors à une nouvelle variation d’Alice au pays des merveilles. Quand Jesse débarque dans la cité des anges, les vautours tournent sans tarder autour d’elle. Sa blancheur immaculée, sa pureté, suscitent immédiatement jalousie et convoitises. On lui reconnait un truc en plus, mais indéfinissable, et que les autres n’ont pas. Toutes les portes s’ouvrent devant elle, mais le danger plane, des ombres la menacent, notamment quand elle rentre dormir dans un motel miteux tenu par un gérant pervers (Keanu Reeves).

La chose que Jesse a en plus par rapport à ses rivales, c’est peut-être ce soupçon d’incarnation dont elles sont dépourvues. Gigi (Bella Heathcote) et Sarah (Abbey Lee), les deux top modèles qui l’accompagnent et qui sont dévorées par la jalousie, sont des beautés autant factices que froides et interchangeables. Si les stéréotypes sont bien en place, Refn prend un malin plaisir à mettre en scène l’univers de la mode dans ce qu’il a de plus cynique, glacé et dangereux. A n’en pas douter, le cinéaste est fasciné par cet univers. Il lui offre un écrin formidable pour l’intégration de ses obsessions formelles.

Le cinéaste dont les initiales sont littéralement imprimées sur le générique de début tel les sigles des grandes marques de mode, offre un film qui est d’abord un pur objet de mise en scène. La sophistication méticuleuse d’une réalisation tout en contrastes, passant de séquences saturées de couleurs à d’autres inondées de blancheur virginale, font de The Neon Demon, au minimum, un objet de contemplation. La prétention de NWR est manifeste mais elle trouve tout son sens dans la mécanique narrative qu’il déroule ici. Cette esthétique ultra soignée, conjuguée aux percussions subtiles, à la fois planantes et frissonnantes, de Cliff Martinez, tout cela fait éprouver une sensation étrange, comme si les corps des personnages étaient embaumés, comme s’ils traversaient éveillés, main dans la main avec le spectateur, un songe incertain et malsain dont on ne peut sortir qu’une fois les lumières rallumées.

Comme une sorte de pendant cinématographique au Glamorama de Bret Easton Ellis, The Neon Demon raconte, non sans humour sarcastique, le processus de dépersonnalisation et de désincarnation qui affecte les icônes de la mode. Les modèles, transformés par la chirurgie esthétique, sont de fait formatés, obsédés par leur image, et seulement animés par des sentiments sauvages, jusqu’à la voracité et la violence extrême.

Le propos n’est pas nécessairement original, mais la manière est ici sublime et fascinante. La maîtrise de Refn est totale, avec une mise en scène toujours sous tension, directe et précise, mais soumise à des explosions libératrices et qui transcendent l’ensemble. C’est impressionnant et ça claque.

Benoît Thevenin

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