En cette année du centenaire de la mort d’Auguste Rodin (12/11/1840 – 17/11/1917), Jacques Doillon livre un film qui célèbre certes le génie du sculpteur, mais qui s’avère être moins une évocation de la vie de Rodin qu’une tentative – réussie – de capter le geste de l’artiste.
En 2015, Bruno Dumont réalisait Camille Claudel 1915, sur les dernières années de la vie de l’artiste, son enfermement et cette folie dans laquelle elle s’est consumée. Deux ans après, le couple Rodin-Claudel continue, plus que jamais et près d’un siècle après leur mort respective, d’inspirer les cinéastes.
Jacques Doillon s’intéresse aux années fastes de Rodin (Vincent Lindon). Nous sommes en 1880 et le sculpteur reçoit sa première commande de l’Etat, après 40 ans de carrière. Dans son atelier, Rodin travaille ainsi à la réalisation de La Porte de l’Enfer. La jeune Camille Claudel (Izia Higelin) l’assiste. Elle est joyeuse, séduisante et, surtout, la plus douée des élèves que Rodin ait jamais eu. Ils seront amants pendant près de dix ans, et c’est souvent ce que la culture populaire à retenu de la vie de Rodin, au delà de son Penseur.
Si la relation entre Camille Claudel et Auguste Rodin constitue le premier fil rouge du film de Doillon, le cinéaste focalise cependant moins son intérêt sur l’intimité de leur relation que sur l’acte de création en lui même. Doillon cherche avant tout à capter le geste de l’artiste et il a trouvé pour cela un Vincent Lindon magistral, habité et puissant, impressionnant et magnétique. Ce Rodin là est un artiste total augmenté d’un visionnaire.
Le film fonctionne d’abord parce que Vincent Lindon incarne littéralement Rodin. L’acteur dévore tout l’espace, cannibalise les personnages qui l’entoure. Seule résiste Camille Claudel, parce qu’elle fait corps avec lui, jusque dans son lit certes, mais également dans le geste artistique.
Pourtant, elle aussi va souffrir de l’ombre tutélaire de Rodin. A travers Rodin, c’est une traversée du Grand siècle à laquelle on assiste. Le sculpteur travaille sur les bustes de ses plus illustres contemporains, et va pour cela à leur rencontre. A chaque fois, qu’il s’agissent de Victor Hugo ou Honoré de Balzac, de Paul Cezanne ou de Claude Monet ou bien encore de Rainer Maria Rilke, Rodin reçoit d’une façon ou d’une autre les preuves d’admiration de ses grands hommes.
La création de la statue de Balzac lui attire cependant une certaine opprobre. C’est l’autre fil rouge du film, un travail de longue haleine qui prend doucement forme. On assiste à l’acte de création dans ce qu’il a de plus fort, c’est à dire dans ses tâtonnements qui effraient les gardiens du temple, dans ses recherches, et jusqu’à son accomplissement.
Le film se déroule essentiellement dans les ateliers de Rodin. On y découvre la passion et la concentration d’un artiste qui ne se laisse pas corrompre par les louanges qu’on lui porte. Rodin est ainsi, terre-à-terre, les pieds même très solidement ancré dans le sol, totalement accaparé par son art, quand bien même les femmes sont sa source de distraction et ce, au grand dam de Rose son épouse.
Camille Claudel s’écarte elle d’elle même de la vie de Rodin. Elle ne supporte pas le manque de reconnaissance en son propre travail. Elle souffre de voir son Rodin attirer toute la lumière sur lui, et elle de devoir rester dans son ombre, dévaluée, et critiquée. Rodin est le premier à reconnaître la flagrance de cette injustice, mais il ne peut rien faire pour enrayer la chute de cette maîtresse qu’il aura toujours aimé.
Doillon offre un portrait au plus près de la figure de Rodin, dans une recherche de la captation du geste de l’artiste. Le cinéaste n’a pas voulu un film romanesque. Au contraire, il tend plutôt à rendre à Rodin toute sa stature et toute sa droiture, et on est plutôt d’avis ici qu’il y parvient parfaitement. Ce Rodin est grand, et Vincent Lindon, si puissant dans son incarnation, n’y est pas rien non plus.
B.T