A l’invitation de la Cinémathèque Française, Laterna Magica a pu découvrir en avant-première – accompagné d’une dizaine d’auteurs d’autres blogs cinéphiles – l’exposition consacré à Jacques Tati (du 8 avril au 2 août*).
Devant la Cinémathèque, une silhouette bien familière témoigne de la présence en ce moment de l’immense Jacques Tati. L’homme, l’artiste, méritait bien cet hommage. Jacques Tati est plus que jamais célébré par les amoureux du septième art, à la fois en tant que visionnaire et comme un authentique génie.
Jacques Tati
Le cinéma de Jacques Tati trouve sa source dans les spectacles de music-hall. Tati n’est pas immédiatement reconnu bien sûr, mais développe sur scène son rapport au public et pose les bases du talent burlesque dont il sera plus tard et sans doute pour toujours l’un des plus éminent représentants.
Tati est d’abord connu en tant que Monsieur Hulot dont Les Vacances… en 53 sont peut-être le plus grand succès populaire du cinéaste. S’il on suit avec attention le cheminement à rebours de l’exposition actuelle à la Cinémathèque, on comprend ce qui a nourrit progressivement ce personnage devenu incontournable dans l’imaginaire des cinéphiles (cf. l’affiche de Sylvie et le fantôme de Claude Autant-Lara).
Tous les grands artistes burlesques ont décliné un personnage de films en films, le personnage prenant même la place de l’artiste dans le schéma de réprésentation des spectateurs. Chaplin est d’abord connu en tant que Charlot, Keaton et Lloyd sont autant que lui reconnus à travers les personnage qu’ils incarnent. Tati perpétue parfaitement cette tradition. Monsieur Hulot déambulera dans tous les films de fiction que réalisera Tati après les Vacances… (Mon Oncle en 58, Playtime en 67, Trafic en 71) et réussira même à voyager jusque dans les films des autres : Monsieur Hulot promène sa silhouette dans Domicile Conjugal de Truffaut (1970) et sera forcément crayonné par Sylvain Chomet dans L’Illusionniste (**).
Monsieur Hulot est un caprice de Jacques Tati. Le succès, Tati le connaît d’abord via le personnage de François le facteur (L’Ecole des facteurs (1947), Jour de fête en 49), que les décideurs de l’époque auraient bien aimés retrouver. Tati a lui une autre ambition de cinéma. Cela passe donc par Les Vacances de Monsieur Hulot (1953), passerelle idéale pour voyager des films les plus simplement burlesques réalisés avant aux oeuvres sophistiquées et novatrices qui arriveront ensuite. Mon Oncle (1959) fera de lui un des rares cinéastes français à avoir gagné un Oscar. Playtime, projet démesuré pour l’époque, provoquera en revanche sa ruine, la perte de ses droits sur ses films, et le début d’un déclin physique et même artistique.
Playtime est pourtant le chef d’oeuvre de Jacques Tati, un film d’une incroyable modernité, qualificatif qui sied si bien généralement à la définition rapide du cinéma de Tati. Nous n’allons pas parler de Playtime plus en détails maintenant, mais vous renvoyer plutôt au texte écrit et publié dans ces pages au moment de la réédition si précieuse du film en salle, en 2002. Ce texte est même quasiment fondateur de Laterna Magica.
L’Exposition
Playtime est aussi la clé d’entrée dans l’exposition offerte par la Cinémathèque. Rassurez-vous, il n’est pas absolument nécessaire de connaître le cinéma de Jacques Tati pour apprécier cette expo. Les initiés apprécieront sans doute, qu’ils se rassurent aussi.
On l’a dit, l’exposition se déroule à rebours, de Playtime aux prémisses du travail de Tati. Le décor de l’expo est une reconstitution partielle des couloirs et bureaux dans lequel une part importante de Playtime se déroule. Ainsi, le visiteur est pleinement immergé dans le monde de Jacques Tati. On y retrouve de nombreux éléments de décors des films mais aussi quelques compositions d’étudiants aux beaux-arts qui ont participé à l’élaboration du dispositif de l’installation. On n’apprendra pas forcément grand chose du travail de Jacques Tati, de son processus créatif, mais il y a un plaisir ludique à retrouver les éléments réels du décor, alors que des photos extraites des films permettent de tout resituer rapidement. Ces éléments de décors sont aussi mis en confrontations avec des travaux originaux qui ont pu les inspirer, Tati ayant été très attentif aux évolutions de l’art contemporain, ce qui est très prégnant dans ses films pour quiconque à déjà vu Mon Oncle, Playtime ou Trafic. Un exemple, un tableau célèbre d’Edward Hopper que l’on retrouve dans la composition d’un plan dans Playtime.
On retrouve aussi une installation très intéressante, deux écrans qui projettent un fameux travelling de Godard dans Week-end, ou le ballet des voitures dans Crash de Cronenberg. Ces deux séquences témoignent évidemment d’une certaine influence, bien réelle, de Tati dans le cinéma de quelques uns de ses cadets.
En continuant de visiter à reculons l’oeuvre de Jacques Tati, on découvre les dessins de nombreux artistes qui ont travaillé avec Tati, notamment sur les affiches des films, que ce soit Sempé ou Cabu par exemple. Mais l’influence de ces dessinateurs est elle-même mise en relief par rapport au travail de Tati. Pierre Etaix, l’héritier le plus direct de Jacques Tati, un cinéaste maudit mais qui est avec Tati l’autre plus éminent représentant du burlesque français, trouve également, et logiquement, sa place dans l’exposition. Et puis, parmi les travaux des dessinateurs, une divine surprise, une séquence story-boardée de L’Illusionniste de Sylvain Chomet, et qui donne sacrément l’eau à la bouche (**).
La visite s’achève sur la plage des Vacances de Monsieur Hulot. Il manque juste le sable et la mer, mais l’ambiance sonore s’impose d’elle même. D’ailleurs, il faut aussi parler de ce travail discret mais néanmoins essentiels, sur l’ambiance sonore dans cette exposition. Jacques Tati attachait une importance fondamentale au son dans ces films, il est donc évident de retrouver ces ambiances le temps de la visite.
On signalera également la projection d’un reportage dans lequel divers cinéastes et artistes posent leurs regards sur le cinéma de Tati. Je ne peux cependant pas vous en dire davantage, ne m’étant pas attardé dessus assez longtemps.
Il faut compter une bonne heure pour effectuer le tour de cette exposition. On apprécie de se retrouver en prise directe avec l’univers singulier de Jacques Tati. L’installation n’est pas destinée prioritairement aux cinéphiles, elle est assez ludique pour accompagner les visiteurs qui ne sont pas encore familiers de ce petit monde là, et qui y trouveront une porte d’entrée idéale vers les films de Jacques Tati.
Benoît Thevenin
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* Exposition « Jacques Tati : Deux temps, trois mouvements » à la Cinémathèque Française du 8 avril au 2 août 2009. Réalisée en collaboration avec Les Films de Mon Oncle. Toutes les informations disponibles sur le site de l’évènement : http://www.cinematheque.fr/fr/expositions-cinema/tati.html
** Dans L’Illusionniste, son prochain film, le réalisateur des Triplettes de Belleville adapte un scénario inédit et en partie autobiographique de Jacques Tati.
Ca donne vraiment envie de visiter cette expo !
Il faut juste que je trouve le temps d’y aller…
En évitant un ou deux nanars, ça devrait être jouable!
Sinon, Benoît, j’ai répondu à ton message perso sur ton adresse hotmail. As-tu bien eu cet e-mail?
A bientôt.
Je vois que vous avez mis en exergue de votre blog la fameuse phrase de Bazin reprise dans Le Mépris.
On pourrait la reprendre en 2009 en la modifiant quelque peu au sujet de l’expo Tati et de l’affiche censurée par la RATP :
« La RATP substitue à nos regards un monde qui s’accorde à ses désirs ».
Bien à vous.
La raison pour laquelle Tati a écrit l’Illusionniste http://www.nonfiction.fr/article-807-la_posterite_de_m_hulot.htm