Demain la veille de Julien Lecat et Sylvain Pioutaz

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« Demain la veille », ambitieux court-métrage de Science-fiction réalisé en 2006, nous apporte la preuve que l’idée d’un cinéma de genre français n’est toujours pas enterrée. Pourtant, si l’on est un minimum réaliste, on se rend vite compte qu’il n’y a dans les faits que peu de place pour ce cinéma là, chez nous.


Pour financer leur projet, les deux réalisateurs, Julien Lecat et Sylvain Pioutaz, ont eu l’idée de faire appel à la générosité des internautes. Une manière de lutter contre les résistances auxquelles ils se sont heurtés. Séduit par le concept puis par le film lui-même, nous avons posé quelques questions aux réalisateurs…

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Laterna Magica : Pour commencer très simplement, pouvez-vous, l’un et l’autre, vous présenter, évoquer vos parcours, votre rencontre ?

Sylvain : Mon parcours est assez simple, j’ai eu mon bac et c’est tout. Après je me suis lancé, j’ai commencé comme stagiaire dans des boîtes de production, puis j’ai fait des courts-métrages. On se connaît par le biais d’Internet et des forums car, avec Guillaume Colboc (le producteur), nous étions chacun webmaster de sites sur le cinéma.

Julien : Mon parcours est moins simple. J’ai fait une maths-sup puis une école d’ingénieur. Comme j’ai toujours été cinéphile, je savais que ce n’était pas ça qui me bottait mais je me débrouillais en sciences et je n’osais pas me « lancer » comme ça. J’ai fait des sites web et des courts métrages en DV dans mon coin, j’ai eu la chance de pouvoir les montrer à des gens comme Jean-Pierre Jeunet, et j’ai fini par lui demander s’il avait quelqu’un au making-of d’Un Long dimanche de fiançailles. J’ai commencé les premières prises de vues quelques jours après avoir eu mon diplôme.

« Demain la veille » a d’abord fait parler de lui grâce au buzz lancé sur Internet. Pouvez-vous raconter rapidement les grandes lignes de cette pré-production ?

Sylvain : Au moment de chercher des fonds pour faire notre film, on s’est vu refuser toutes les aides classiques : CNC, Régions, etc. À part des co-producteurs indépendants et une chaîne de télé (13ème Rue), on n’avait pas grand-chose. Nos producteurs ont eu l’idée de proposer aux internautes de participer au financement du film, en mettant en place un site Internet détaillant notre projet. L’idée a pris. On a financé les 2/3 du film comme ça…

Julien : En un mois et demi, grâce au buzz généré et relayé par des sites comme Hoaxbuster.com, on a levé 17 000 euros.

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À l’écoute du commentaire audio sur le DVD du film, on se rend compte qu’au départ, « Demain la veille » n’était peut-être pas porté par le même degré d’ambition que le résultat final laisse entendre. Confirmez-vous ce sentiment ?

Sylvain : On a toujours eu l’ambition de faire un bon film, heureusement ! Après c’est vrai qu’on pensait que ça serait plus petit que ça. Mais on s’est laissé porté par le truc, c’est plus à la fin qu’on s’est rendu compte que l’ampleur du projet avait été multipliée par 10 000 en 2 ans.

Julien : On se laisse facilement emporter par l’envie de développer un peu l’univers visuel, sonore et scénaristique d’un film d’anticipation.

Je ne peux m’empêcher de penser à « La Jetée » en regardant votre film. Peut-être est-ce une obsession de ma part envers le film de Marker. Néanmoins, bien que les films soient très différents, on pourrait donc dégager des similitudes : un avenir bloqué à l’enfance, un monde totalitaire ou le personnage principal est prisonnier d’une condition qui lui échappe etc. Est-ce que cette référence est légitime ? Et si oui, est-elle consciente ?

Sylvain : J’ai été très marqué par La Jetée et par L’Armée des 12 singes, ce sont des films générationnels, et qui ont parlé à beaucoup de personnes de notre génération. Ils incarnent toutes les peurs de la fin du XXème siècle. Mais c’est marrant parce que, honnêtement, je n’ai pas le souvenir d’avoir pensé à ces films en écrivant Demain la veille. On a pensé à plusieurs autres films pour y trouver des références visuelles, mais pour l’histoire, le scénario, non. Mais force est de constater que oui, notre film est « lié » à ceux de Chris Marker et de Terry Gilliam ! On nous en parle souvent, et maintenant ça me semble évident. On l’assume, ça ne nous gêne pas. Je préfère que notre film rappelle aux gens La Jetée plutôt qu’un épisode de Santa Barbara

Julien : Je suis un grand fan de L’Armée des 12 singes. Je sais pertinemment que je dois voir La Jetée, car non, je ne l’ai jamais vu.

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On peut considérer « Demain la veille » comme un film aux résonances très politiques : un appel à la résistance face à un monde qui nous endort, un appel au réveil pour que le monde arrête de fonctionner à l’envers et se remette dans le bon sens…

Julien : C’est un des grands thèmes de l’anticipation. Je pense qu’il restera toujours d’actualité parce qu’on a toujours cette crainte d’être gouvernés par des gens bornés, extrémistes, voire fous à lier, des politiciens très forts en communication, qui arrivent toujours, au final, à verrouiller le dialogue social, artistique et culturel. On vit plus que jamais dans une époque à risques : manipulations religieuses de masse, endormissement citoyen par la télévision et son « temps de cerveau disponible » (1), etc. C’est normal que ces thèmes ressortent, même si l’idée, à la base, n’est pas non plus de réaliser un film revendicatif.

Désormais, « Demain la veille » est derrière vous, si je puis dire. Allez-vous maintenant continuer dans le même registre ? Pouvez vous nous parler de vos projets actuels ?

Sylvain : On a des projets, oui, dans le même registre, non.

Julien : J’adore l’anticipation mais tenter de développer des personnages très forts sur seulement 15 minutes dans ce genre d’univers est un exercice fou. Donc maintenant, on a plutôt envie d’écrire un court plus simple, plus posé, où on peut travailler à fond avec les comédiens.

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Le cinéma de genre peine à se faire une place dans le cinéma français. Avez vous un début d’explication concernant cette frilosité de nos producteurs ? Et est-ce que ce climat là a d’ailleurs affecté la production de votre film ?

Julien : Je pense que c’est une question d’éducation à l’image. La génération précédente a été bercée par les comédies pures et dures de De Funès et des films Nouvelle Vague ou d’aventures à la Belmondo… quelques titres qui tournent maintenant en boucle sur TF1 le dimanche à 20h30. Et comme les films actuels ne peuvent se tourner sans l’aide des chaînes, ils préfèrent continuer d’appliquer les recettes de la case « dimanche 20h30 ». On est donc dans un cercle vicieux : il y a très peu de financement pour un autre genre de cinéma et le public se méfie parce que TF1 ne les habitue pas à voir autre chose. C’est normal. Il faut juste espérer qu’après Jeunet, Kassovitz, Kounen et Besson, on ait encore des nouveaux réalisateurs élevés aux Spielberg/Scorsese/Burton/Gilliam/Aronofsky qui tentent et réussissent à briser la glace. C’est d’ailleurs le même problème pour les séries TV. Regardez la production de série américaine et regardez chez nous… Aucune originalité, aucune prise de risque. Quant au CNC, je ne sais pas s’ils se ferment totalement à certains genres, mais en tout cas je vois peu de courts métrages de science-fiction estampillés CNC…

Sylvain : Moi il y a une chose qui me désole : il y a un film magnifique qui est sorti au cinéma il y a quelques semaines, qui s’appelle Les Chansons d’amour, de Christophe Honoré – et c’est à 2 000 lieux de Demain la veille ! -. Il a fait 200 000 entrées. En face, il y a Pirates des Caraïbes 3, qui fait 2 millions d’entrées dans le même laps de temps. A qui la faute ? Aux spectateurs qui ne se laissent plus surprendre, qui vont voir ce qu’on leur dit d’aller voir à grand coup de marketing ? Aux distributeurs qui préfèrent être sûrs de faire 8 millions d’entrées plutôt que de prendre un risque ? Aux producteurs qui préfèrent produire des suites plutôt que de chercher autre chose ? Marre de Harry Potter 8, Spider-Man 11… C’est bien que ce cinéma existe… Mais il n’y a QUE ça ! Tant qu’on ne sera pas sorti de ce schéma de « Faisons des films que les gens ont déjà vus comme ça on est sûr / Voyons les films qu’on a déjà vu comme ça on est sûr aussi », le cinéma français, et donc le cinéma de genre français, sera toujours en difficulté. Conclusion : allez tous voir le film de Christophe Honoré !

Julien : Le Scaphandre et le papillon, aussi. C’est une jolie leçon de mise en scène. C’est rare et ça fait du bien de voir un metteur en scène qui utilise vraiment à 400% tous les outils qu’il a sur le plateau (lumières, objectifs, pellicule, sons, cadre…), au lieu de faire seulement confiance à un ordinateur.

Propos recueillis par Benoît Thevenin, juin 2007.

(1) Référence à des propos tenus par Patrick Le Lay, patron de TF1, et qui explique par là que le but des émissions de sa chaîne et de conditionner les spectateurs à reçevoir des messages publicitaires pour qu’ils y soit sensibles. Nous avions déjà fait référence à ces propos via la retranscription d’un enregistrement de Chloé Delaume pour arteradio. Le texte est disponible à ce lien : Le Formatage est en direct et vous pouvez l’entendre la : sur Arteradio (lien direct).


Demain la veille – Note pour ce film :
Année de production : 2008

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