L’Âge des ténèbres de Denys Arcand

C’est la crise, à tous les niveaux. Un virus épidémique inconnu décime la population, la radio informe que 35 000 québecois apprendront dans l’année être atteint par un cancer et que la moitié d’entre eux en mourront, les vieilles dames se font agressées sauvagement par des gamins de quinze ans, le chômage atteint des records etc. Le ciel est gris, le stress est partout, les personnes sont sous tensions.

Au coeur de ce marasme ambiant, Jean-Marc Leblanc vit une crise plus personnelle et existentielle, un peu dans le style de Kevin Spacey dans American Beauty. Sa famille ne le voit plus, entre ses filles en pleine puberté et sa femme qui ne vit que pour son agence immobilière. Comme Annette Bening dans le film de Mendes. Jean-Marc s’imagine donc une autre vie. Par exemple, celle d’un écrivain à succès (auteur du best-seller primé au Goncourt Un Homme sans intérêt…) et que les plus belles jeunes femmes convoitent. Diane Kruger figure dans ses rêves en maîtresse fabuleuse tandis qu’Emma DeCaunes campe une journaliste très admirative.

Dans la vie réelle, Jean-Marc est agent de recouvrement et travaille pour un gouvernement du Québec qui a du se résoudre à établir ses quartiers dans le complexe sportif d’une patinoire… Et Jean-Marc n’en peut plus de subir les supplications des personnes qui défilent dans son espèce de bureau.

Denys Arcand, le plus célèbre des cinéastes québecois, est notamment connu pour son Déclin de l’Empire Américain. Un titre aux accents prophétiques mais qui évoquait en fait le désenchantement des idéalistes des années 60’s. On ne le dit pas beaucoup, mais Denys Arcand reste un fin observateur de la vie de ses contemporains. Même ces films les moins considérés – et celui-ci en fait partie – ont un intérêt véritable, y compris Stardom, petit pamphlet bien sympathique contre le star system qui préfigure d’une certaine manière le culte des fausses stars de la télé-réalité et prolonge la métaphore instruite sur le monde du spectacle dans Jésus de Montréal.

L’Âge des ténèbres est un conte d’aujourd’hui, une satire à la fois douce et féroce de notre monde et de son délitement. A l’heure ou le monde entier entame une mutation historique, l’existence de ce film, sorti près d’un an avant le début de la crise financière qui agite et inquiète aujourd’hui, à valeur de symptôme. Le malaise est profond, ressenti depuis quelques années déjà, et la crise que nous traversons, une conséquence. L’âge des ténèbres, c’est donc le nôtre.

Il y a une ambiance d’apocalypse dans ce film. Et pourtant on arrive à rire, parce que ce cynisme est contre-balancé par les évadés oniriques de notre anti-héros. A la fin, tout est calme, reposé. Pourtant, le constat est tragique : rien n’a survécu à la tempête, pas même l’amour. C’est peut-être ce qui a fait que ce film a été tant détesté de part et d’autre de l’Atlantique lors de sa sortie, une sorte de renoncement impossible à accepter.

Le cinéma d’Arcand, c’est la fin des idéaux, presque toujours, du Déclin de l’Empire Américain aux Invasions Barbares. Il est à noter que chacun des titres à un sens direct très évident qui raisonne par rapport à l’état du monde lorsque ces films sont sortis. On le répète alors, L’Âge des ténèbres, c’est donc le nôtre.

Benoît Thevenin


L’Age des ténèbres – Note pour ce film :

Sortie française le 26 septembre 2007


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3 commentaires sur “L’Âge des ténèbres de Denys Arcand”

  1. > L’âge des ténèbres, c’est donc le nôtre.

    Avez vous vécu au Québec ?
    il y a une date moderne commune mais aussi un lieu géographique assez bien identifié.

    Denys Arcand parle d’une problématique québécoise dont on peut généraliser plusieurs thèmes au reste du Canada ou de l’Amérique du Nord mais s’applique un peu moins bien à d’autres pays avec leur mentalité respective.

    Ce film a malheureusement une portée quasi-documentaire pour le Québec.

  2. Benoît Thevenin dit :

    Non, je ne suis même jamais allé au Québec?

    Pourriez-vous développer ce que vous me dites dans ce commentaire ? je suis curieux d’en savoir plus..

  3. Je m’en doutais.

    On regarde un film étranger comme une oeuvre +/- de fiction, une oeuvre d’un auteur mais quand on connait le pays d’origine puisqu’on y vit, ca prend une autre dimension. Un peu ce que vous avez dit sur Paris, fraichement arrivé comme provincial et puis ensuite.

    Un court séjour permet de mieux percevoir cette réalité dont le réalisateur s’inspire pour livrer son message, son film. Mais y vivre plus longtemps, permet de bien connaitre et comprendre ce contexte. Du coup, l’oeuvre parait moins une fiction, on y rédécouvre les éléments de notre réalité si l’auteur est intelligent et sensible.

    Depuis que je vis au Quebec, j’interprete différement les films américains. La part de fiction des comportements a diminué pour refleter des mentalités que je connais et comprend mieux.

    Le Québec comme le Canada, a de grâves problemes pour les services de soins de santé avec une pénurie de médecins et d’infirmières. C’est du niveau des pays de l’Est. C’est un problème grave qui persiste avec d’autres thèmes du film. Denys Arcand le souligne dans plusieurs de ses derniers films.

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