Vincere de Marco Bellocchio (2009)

19105979

« Vincere », récit d’une défaite… Le film de Marco Bellocchio suit le parcours infernal d’Ida Dalser, maîtresse spoliée de Benito Mussolini. Sans doute l’un des meilleurs films de Bellocchio.

Marco Bellocchio n’est jamais autant intéressant que lorsqu’il revisite l’histoire de son pays. Vincere n’est pas un film politique mais s’inscrit dans un contexte qui, s’il peut au final apparaître comme accessoire (on y reviendra plus loin), est évidemment omniprésent.

Le film accompagne dans un premier temps le personnage de Mussolini, incarné par un acteur (Filippo Timi). On voit l’homme politique en pleine ascension, en train de lutter pour faire entendre sa voix et légitimer ses prises de positions. Lors d’ un meeting, il défie Dieu. « Je lui donne cinq minutes pour me foudroyer et prouver qu’il existe ». La démonstration est imparable et Mussolini divise un peu plus radicalement ceux qui l’écoutent. Mais il est aussi une femme qui se tient là devant lui, en complète fascination face au personnage. Une passion amoureuse va naître en eux, le soutient d’Ida sera important dans la quête du pouvoir du leader fasciste, et un enfant vient bientôt célébrer leur histoire.

La vie d’Ida Dalser va ensuite basculer. Mussolini accède au pouvoir, rejette Ida quitte à l’abandonner complètement à la marge. Le film de Bellocchio rend compte de cette césure brutale, notamment par une mise en scène qui signifie symboliquement la soudaine inaccessibilité du dictateur. Mussolini était incarné par Filippo Timi dans les premiers temps du film, il est remplacé par les images d’archives du Duce, dès lors que le dictateur disparaît de la vie d’Ida.

Le film permet de revisiter en filigrane de cette petite histoire, la grande Histoire. Le sujet de Vincere est à n’en pas douter la défaite d’Ida face au système et la volonté de Mussolini de ne pas la reconnaître comme la femme qu’elle à été. Ida, elle, continue obstinément de tenter de faire entendre sa voix, de faire reconnaître aux yeux du monde son statut d’ex épouse et de mère du premier enfant du Duce. On la prendra pour une folle et si jamais elle est écoutée et prise au sérieux, alors elle est jalousée à l’extrême. Ida n’est pas seule à être dans la fascination du dictateur, le peuple italien dans ses largeurs est sous son emprise.

Bellocchio nous étourdit par la puissance et l’énergie de sa mise en scène. Ca ne confère que plus de force à un récit qui est déjà vertigineux. Giovanna Mezzogiorno dans le rôle d’Ida est incroyable et permet de nous faire ressentir toute l’intensité du film.

Vincere, c’est d’abord le combat d’une femme pour exister. Son cas est déclinable en dehors du contexte politique même si bien entendu c’est ce contexte qui procure aussi au film une part importante de son intérêt. Reste que l’aspect historique ne paraît pas fondamental et que l’on peut s’en affranchir. Cela explique sans doute cette empathie que nous ressentons pour l’héroïne, quand bien même est-elle un personnage trouble de l’Histoire, une fasciste convaincue, même si son obédience est dictée par l’emprise du Duce sur elle.

Benoît Thevenin

Vincere ****1/2

Email

Aucun commentaire sur “Vincere de Marco Bellocchio (2009)”

  1. Foxart dit :

    J’avais adoré un autre de ses films en selection cannoise il y a 5 ou 6 ans… Le sourire de ma mère, quelle merveille !

  2. selenie dit :

    Je ne suis pas aussi enjoué… Voici une partie de ma critique :
    Une histoire très peu connue dans la grande Histoire. Quel destin en effet que cette femme et de son fils, rejeté par Mussolini… Cependant la magie du cinéma nous fait vivre une vie hors norme avec des acteurs tous magnifiques surtout la splendide et pasionnée Giovanna Mezzogiorno. Le film aurait mérité d’être un chef d’oeuvre mais la première partie est un vrai capharnaüm… incustation de divers slogans et propagandes de l’époque, accumulations abusives d’images d’archives, montage fouillis dans la chronologie, bref on a l’impression d’être un moyen-métrage qui résumerait l’époque 14-18 vu d’Italie ! L’histoire entre Ida Dalser et Mussolini passe en second plan et n’est que survolée ! C’est extrêment dommageable… Heureusement le film prend toute sa dimension tragique après la fin de la première guerre et le rejet par Mussolini, on entre enfin dans ce qui nous interesse… Emotion, drame, merveilleuse interprétation , un beau film d’amour et de drame… Mais trop tard le début gâche l’ensemble. Dommage… Et surtout rappelons aussi qu’il n’y aucune preuve de la véracité de ces faits.

  3. luc nemeth dit :

    bien d’accord avec selenie (en tant que spectateur, et en tant que chercheur) sur l’intérêt de ce très beau film -mais à partir de la fin de la première guerre mondiale, seulement.
    Car pour ce qui est de la partie antérieure c’est dès la première image du film qu’il y aurait beaucoup à redire : Ida Dalser, qui ne fit la connaissance de Mussolini qu’à Milan au début de l’année 1914 (comme indiqué dans sa déclaration au notaire Camillo Teppati en août 1916) n’était pas dans la salle à Lausanne en… 1904, lorsqu’eu lieu cette réunion publique où Mussolini défie Dieu de prouver son existence. De même leur rencontre à Trente en 1907 est à considérer comme un artifice de fiction, même s’il s’appuie sur une lointaine réalité (afin de « calmer » un tant soit peu Rachele Guidi, qui commençait à trouver le ménage à trois un peu saumâtre, Benito lui raconta qu’il avait jadis connu Ida Dalser à Trente et qu’il l’avait… revue par hasard, à Milan).
    Si d’autre part le réalisateur est libre de toute fiction cela devient gênant lorsque le procédé aboutit à fausser les idées : ainsi avec ce passage où Ida exhibe une liasse de biftons destinés à Mussolini et à son Popolo d’Italia (qui était en réalité porté à bouts de bras par le quai d’Orsay, et par le patronat italien).
    De même, avec la scène du crêpage de chignons entre Rachele et Ida, à l’hosto militaire : car même si Ida devait avoir eu le dessous ce jour-là elle n’en parvint pas moins à traîner Mussolini chez l’avocat Guido Galli à sa première permission -d’où la reconnaissance de paternité du 11 janvier 1916.

  4. (suite) dit :

    le texte de la déclaration devant notaire faite par Ida Dalser en 1916 a été par la suite reproduit dans divers ouvrages (dont un fut même traduit en français en 1932) : elle parle elle-même explicitement du « peu d’argent », sic, qu’elle possédait. Ce que l’on peut reconstituer par ailleurs de ses avoirs confirme, qu’il s’agissait de maigres biens. Et l’évocation qu’elle fait de leur utilisation est en tous points conforme, à ce que laissait prévoir le contexte : » à cette époque je mis en circulation le peu d’argent que je possédais personnellement pour subvenir à nos besoins ».

    (Armando Borghi, « Mussolini en chemise », p. 97)

Laisser une réponse