Corneliu Porumboiu, le réalisateur de « 12h08 à l’Est de Bucarest », nous convoque pour une incroyable leçon de rhétorique et de vocabulaire. Un retour aux fondamentaux inédit, assez drôle, mais aussi (sans doute) nécessaire…
On avait découvert Corneliu Porumboiu en 2006 à Cannes, déjà, où il reçu la Caméra d’or pour 12h08 à l’est de Bucarest. Le film, avec La Mort de Dante Lazarescu de Cristi Puiu, permit de lancer cette vague très intéressante de films roumains qui continue de déferler aujourd’hui. Bucarest est d’ailleurs une place forte du cinéma mondial en cette première décennie du XXIe siècle, ce que la Palme offerte à C. Mungiu pour 4 mois, 3 semaines et 2 jours à définitivement consacré.
12h08 à l’est de Bucarest avait constitué une inattendue révélation. Le cinéaste, malgré des moyens dérisoires, a réussi à faire preuve d’assez d’ingéniosité et de malice pour bricoler un long-métrage drôle et passionnant sur l’héritage communiste laissé à la Roumanie actuelle. Policier, adjectif, présenté cette année à Un Certain Regard constituait donc pour nous une véritable attente.
Le titre est pour le moins étrange, sinon énigmatique, mais on en comprend assez facilement le sens en découvrant le film. L’histoire est celle d’un policier à Bucarest en charge d’une affaire mineure. Dès le premier plan, nous le suivons en pleine filature d’un lycéen. Si ce jeune homme est dans le collimateur, c’est parce qu’il a une malheureuse habitude : avec deux de ses amis, il s’isole tous les midis pour fumer un joint.
Policier, adjectif dure quasiment deux heures pleines et on aurait aimé un traitement plus concis. Le cinéaste étire son film par les longues séquences de filature du policier, lesquelles n’aboutissent à strictement rien de concret, sinon à motiver davantage le policier à ne pas vouloir agir contre le délinquant qu’il suit. En revanche, le film est sacrément drôle et intéressant dès lors que le dialogue est enclenché, principalement dans les scènes administratives.
Il y a trois séquences essentielles dans lesquelles le personnages du policier engage un de ses dialogues qui non seulement nous arrachent à l’ennui qui finit par nous accabler un petit peu dans les séquences de filatures, mais aussi donnent son sens au titre du film.
Acte 1, le policier explique à un collègue en quoi sa participation à un tennis-ballon entre potes est indésirable. « Tu es nul en foot, tu seras nul en tennis-ballon et donc un boulet, c’est une loi qui se vérifie tout le temps » lui explique t’il en substance. Ce à quoi le collègue lui répond évidemment quelque chose du genre « cette loi est-elle inscrite quelque part ? Comment peut tu me juger sans m’avoir vu jouer ».
Acte 2, le policier débat avec sa petite amie du contenu d’une chanson populaire qu’elle écoute. Son amie est prof de littérature et lui expose un véritable cour de rhétorique qui lui échappe en grande partie. « La vie continue… Comme si elle pouvait reculer ! ».
Acte 3, le policier face à son supérieur (Vlad Ivanov, l’avorteur de 4 mois, 3 semaines et 2 jours, là encore impressionnant). Tout le film est construit sur cette idée préalable que le jeune policier héros du film considère le délit sur lequel il travaille tellement anecdotique qu’il ne souhaite pas en sanctionner l’auteur. D’après lui la loi évoluera dans le bon sens et il ne se voit pas envoyer un jeune en prison quelques années pour seulement quelques joints fumés. La nature du débat entre le policier et son chef est réjouissante, presque à mourir de rire, et en même temps ce n’est pas spécialement le but recherché a priori.
Le policier affirme sa défiance à l’égard de la décision de son chef d’organiser un flagrant-délit. Il lui explique qu’il ne veut pas avoir sur la conscience le fait de gâcher la vie d’un gamin. Son supérieur lui répond pas une impressionnante leçon de vocabulaire. Le chef commande un dictionnaire et impose au policier la lecture de quelques définitions de mots comme conscience, loi, morale, policier.
Il y a bien sûr une finalité pour ce retour aux fondametaux. Une finalité narrative d’abord, bien évidemment, mais un message envoyé aussi aux spectateurs, sans doute. A force de galvauder certains mots, de les utiliser dans des usages pour lesquels ils sont inappropriés, de dénaturer leur sens etc, la communication entre les individus est viciée. A ce jeux là, on est tous plus ou moins coupable, que l’on soit roumains ou français ou allemands etc. Celui qui sait le sens des mots à un avantage sur les autres qui ne le connaît pas. Il y en a beaucoup qui feraient bien d’en prendre de la graine – et ne croyez pas que je ne me sente pas concerné aussi – et d’une certaine manière, c’est ce que le film nous dit…
Benoît Thevenin
Policier, adjectif – Note pour ce film :
Sortie française le 19 mai 2010
Vraiment je n’ai pas de bol… Tu es le 2ème qui a l’air d’avoir particulièrement aimé ce film mais il ne passe pas par chez moi RRRrrr