Lorsque l’on évoque la Ballade de Narayama, c’est le film de 1983 que l’on retient, seconde adaptation après celle, par Keisuke Kinoshita en 1958, du roman de Shichirō Fukazawa. Avec ce film, Shohei Imamura remportait la première de ses deux Palmes d’Or (la seconde, L’Anguille en 1997, fut attribué ex-aequo avec Le Goût de la Cerise de Kiarostami).
Ancien assistant d’Ozu, Imamura est, avec Suzuki ou encore Kon Ichikawa, un des principaux cinéastes de la Nouvelle Vague du cinéma japonais des années 60. La Ballade de Narayama fait figure d’exception dans la filmographie d »un cinéaste plutôt urbain et habitué à disséquer la société japonaise qui lui est contemporaine. La Ballade de Narayama se situe lui dans un petit village des montagnes et vers la fin du XIXe siècle. L’époque n’est pas identifiable à vue du film, l’information provient du roman. Le village est en effet si reculé qu’il est resté bloqué au moyen-âge. Il n’y a aucun signe ici d’une quelconque modernité, sinon un fusil. Les conditions de vie sont précaires. Les valeurs aussi. Un profond attachement aux croyances ancestrales régit la vie de ce microcosme. Orin, une vieille femme de soixante dix ans, s’apprête à mourir. Conformément à la coutume, elle doit être portée par l’aîné de ses fils au sommet de la montagne de Narayama, s’y éteindre et ainsi trouver le repos éternel.
La Ballade de Narayama est un film âpre et difficile dans lequel l’humain est ici remis à sa place. Paricide, zoophilie, gérontophilie… il y a quelque chose de terriblement primaire. L’homme n’est ici vraiment rien face à la nature, il baise à même le sol à côté des serpents. Malgré la provocation de certaines séquences, il est curieux de se dire en fait que La Ballade de Narayama n’est surtout pas un film provoquant. Pas tant que ça du moins. Le film est porté par le souffle de la mise en scène d’Imamura, la profonde sensibilité, l’empathie aussi, de son regard. Imamura balance entre le chaud et le froid mais consolide toujours l’équilibre : les pulsions les plus primaires face à une nature froide et quasi ingérable. Il faut être fort pour survivre, d’où cette coutume qui condamne les anciens, peu importe leur forme, à aller mourir au sommet de Narayama. Les anciens deviennent improductifs et dès lors leurs bouches à nourrir sont de trop. Implacable, La Ballade de Narayama est pourtant sublime, de force et d’audace, toujours plus près de l’évocation que de la simple provocation.
Benoît Thevenin
La Ballade de Narayama – Note pour ce film :