Peu ou prou au même moment, les nouveaux films de Todd Solondz et Gregg Araki sortent dans les salles françaises ; soit deux films réalisés par deux des enfants terribles du cinéma américain (il ne manque guère qu’Harmory Korine pour densifier le tableau). Solondz, et c’est le moins que l’on puisse dire, ne s’assagit pas. Palindromes, avec ses airs de conte de fée, égratigne une nouvelle fois le rêve américain.
Palindromes s’accorde à merveille avec les précédents films de Solondz, il en est l’exacte continuité, tant il aborde inlassablement les mêmes thèmes et ne serait-ce que parce que Solondz fait lui-même référence à ces précédentes œuvres. Ainsi, le film s’ouvre sur le suicide Dawn Wiener, l’héroïne de Bienvenue dans l’âge ingrat.
Aviva, sa jeune amie de 12 ans s’interroge sur les raisons de ce suicide. Plus tard, Aviva rencontre un jeune obsédé sexuel qui va plus ou moins la violer et la mettre enceinte. Sa mère la contraint d’avorter et, après l’opération, Aviva fuit de chez elle. Commence alors pour elle un long voyage initiatique, hautement cynique aussi, ce qui fait de Palindromes cet objet à la fois merveilleux et malsain.
Dans son parcours, Aviva va croiser le chemin de tout les marginaux possibles et imaginables, même les plus invraisemblables. C’est en cela, que le film réactualise tous les thèmes chers à son auteur : différence, exclusion, perversité etc. De fait, Aviva se retrouve aux prises avec un camionneur pédophile, puis une tribu de jeunes freaks protégés par la bienveillante Mama Sunshine… en fait une chrétienne ultra intégriste qui va essayer de faire assassiner le médecin qui s’est chargé de l’avortement d’Aviva.
Todd Solondz jalonne donc son récit de rencontres symboliquement monstrueuses mais qui prennent toujours une apparence tranquille. L’intégrisme religieux, le repli sur soi et le communautarisme exacerbé de l’Amérique post 11 septembre sont traité avec une telle amoralité que, à y réfléchir deux fois, cette Amérique fait peur. C’est bien entendu l’objectif de Solondz : désacraliser le mythe américain, montrer l’horreur qui se cache derrière les jolies façades de résidences. Il n’est pas le premier à le faire mais il le fait bien. Et depuis longtemps.
Palindromes, outre son nihilisme thématique, bénéficie du regard affûté de son auteur (ces cadrages toujours riches d’informations mais qui ne dévoilent jamais rien complètement), de son audace formelle. De fait, il y a ce partit pris qui saute aux yeux de tous spectateurs, qui rendent aussi le film d’autant plus intriguant, captivant et fascinant ; le personnage d’Aviva est interprété par divers acteurs. Il n’y a aucun rapport physique entre chacun. Aviva est tour à tour une jeune noire obèse, une adolescente rousse anorexique, une jeune adulte blonde interprétée par Jennifer Jason Leigh, et même un jeune garçon etc. Ce choix multiplie les portes d’interprétations du film. Il faut sûrement y comprendre qu’en fait, s’il s’agit là de l’histoire particulière d’une enfant, il s’agit tout aussi bien de l’histoire de tout un tas d’autres personnes. Il y a alors comme un malaise encore plus grand pour le spectateur. Bien que cet enchaînement de saynètes ne permette pas vraiment de s’identifier au personnage, il est peut-être encore plus perturbant de voir tous ces aspects d’une jeunesse pervertie et ce d’autant plus que le film, tel un palindrome, se termine tel il a commencé, telle une histoire inlassablement répétée.
Benoît Thevenin
Palindromes – Note pour ce film :