« Changement d’adresse », troisième long d’Emmanuel Mouret, faisait partie de la sélection de la Quinzaine des réalisateurs lors du dernier festival de Cannes. L’ovation qu’il a reçu augure de son potentiel à séduire le grand public. C’est un film décalé, frais et drôle et ou vous retrouverez Frédérique Bel, celle que vous connaissez mieux sous les traits de ‘La Blonde’ dans l’émission de Michel Denisot sur Canal +. Le film sort ce mercredi, semaine de la fête du cinéma. Voilà une bonne occasion de s’essayer à la découverte de ce film qui a toutes chances de vous faire passer un vrai bon moment. En attendant, voici, ci-dessous, un entretien réalisé il y a quelques jours avec le cinéaste…
Comment s’est passé le tournage avec Frédérique Bel et Danny Brillant ?
Pour Frédéric Bel – bon vous savez, je pense, qu’elle fait « La Minute Blonde » sur Canal + tous les soirs – il s’agissait de son premier vrai rôle au cinéma, avec quelque chose qui va plus loin que son personnage de blonde. Je n’ai jamais vu – même si je n’ai fait que trois longs-métrages – quelqu’un travailler autant. Elle a travaillé son rôle pendant trois mois. Elle avait beaucoup de texte aussi. C’est quelqu’un de très intelligent mais qui, surtout, à besoin de tout contrôler. Toutes ces petites mimiques, articulations, tout ça c’était des choses extrêmement répétées et pour donner au final quelque chose de très frais et très naturel. Le seul problème avec elle, c’était les coiffures, elle était très exigeante là dessus.
Quant à Danny Brillant, il est venu sur le film très enthousiaste. Il avait beaucoup aimé le scénario, il avait aimé mon précédent film (1). C’est quelqu’un d’une grande générosité et qui a fait preuve de beaucoup de disponibilité. Il était très travailleur et très joyeux. C’était un régal, vraiment un vrai régal.
On a l’impression que le rôle d’Anne est taillé pour Frédéric Bel. Vous avez écrit le scénario en pensant à elle ?
Non pas du tout. Déjà je ne connaissais pas « La Minute Blonde », je ne regardais pas la télévision à l’heure ou ça passait. C’est un ami qui m’a conseillé de regarder. J’ai d’abord pensé qu’elle ne correspondait pas du tout : trop excessive, trop caricaturale etc. Elle était super dans son truc, je la trouvais très bien, mais ce n’était pas ce que je recherchais, c’est à dire une amoureuse, sincère mais aussi mélancolique, attachante… Et en fait, c’est par un ami réalisateur qui lui avait fait passer des essais pour un rôle beaucoup plus dramatique… Là je l’ai trouvé très, très touchante. Je lui ai fait passer des essais et je me suis rendu compte qu’elle avait une palette de jeu nettement plus large que ce qu’on la vois faire dans « La Minute Blonde ». C’était un coup de chance. Et elle, elle était tout de suite à fond dans son rôle. Maintenant, je n’arrive pas à imaginer le film sans elle.
Et comment s’est fait le choix de Danny Brillant ?
Je cherchais un séducteur et chaque fois que je faisais passer des essais, on étaient pas convaincu. Il y a deux types de séducteurs : celui qui ne fait rien, qui attend, qui presque méprise sa proie avec ce côté un peu fatigué etc. Et il y a le séducteur qui va vers la personne, qui est jovial. Je me suis rendu compte que c’était plutôt ce deuxième type de séducteur que je voulais. Je l’ai vu chanter à la télévision et j’ai trouvé qu’il avait ça, ce côté avenant, téméraire.
Comment gérez-vous le fait d’être à la fois devant et derrière la caméra ?
J’ai un jumeau. (Rires) En fait, je jouais déjà dans mes courts-métrages. J’ai joué aussi dans mon premier long. C’est une question d’organisation. Il n’est pas nécessaire d’être en dehors pour diriger une scène, on peut la diriger de l’intérieur : on donne le ton, le rythme etc. C’est beaucoup plus simple que ce que l’on peut imaginer. Jouer une scène avec quelqu’un c’est un peu comme organiser une farce. Ca vous est déjà arrivé de vouloir faire croire quelque chose à vos amis. Voilà, c’est ça… de l’intérieur on ressent aussi très bien les choses. Ce qui est plus difficile en revanche, c’est lorsque l’on se voit au montage… C’est là qu’on se dit « Je n’aurais pas dû jouer » (Rires) Et puis sinon, ça met le comédien en confiance. Souvent, le plus difficile pour un comédien c’est de percevoir la demande du réalisateur. Le fait de jouer avec le réalisateur, on sent tout de suite mieux les choses. Ca rassure l’acteur.
Vous ne jouez que dans vos films. Pourquoi pas dans ceux des autres ?
Ca fait longtemps que je joue. Avant de faire la FEMIS, j’ai fait le conservatoire d’art dramatique. J’ai aussi une formation de comédien mais par contre je n’ai aucune ambition de carrière de comédien. Après, on ne sait jamais…
Il y a beaucoup de jeux de mots, notamment entre Cor et Corps. Parlez-nous un peu de ce personnage de musicien.
Je voulais que mon personnage soit musicien. Déjà, parce que je conçois le cinéma comme quelque chose de très musical. Et puis ça m’arrangeait qu’il soit musicien. Ca justifiait le fait qu’il arrivait à Paris, pour toucher des cachets, qu’il gagnait peu et cherchait une colocation etc. J’ai réfléchi à quel instrument il pouvait jouer. Dans les films, on a souvent des pianistes, violonistes ou guitaristes dans des groupes de rock. Je voulais un peu autre chose. J’ai pensé au triangle, à la flûte. Mais en pensant aux dialogues ça ne marchait pas « Voulez-vous me montrer votre flûte ». Bon… Je suis tombé sur le cor. Comme c’est un film sur le désir, ça collait bien.
Pour l’anecdote… Le film est passé à Cannes. Et comme là-bas tous les films sont sous-titrés en anglais, il fallait un sous-titrage. Tout à coup, j’ai été pris d’une angoisse et j’ai appelé le traducteur pour demander comment il allait résoudre ça pour que cela marche en anglais. Et en fait, ça marche très bien. Cor, ce dit Horn. Et Horny désigne le corps avec, en plus, une connotation très sexuelle.
Au générique, il est écrit que « Changement d’adresse » est une « fantaisie » réalisée et interprétée par Emmanuel Mouret. Pourquoi ce mot « fantaisie » ?
C’est peut-être une manière de ne pas dire « comédie ». Ca a un côté funambule, musical. Rien qu’à la sonorité, je trouve le mot « fantaisie » plus séduisant que « comédie »
D’où vous est venu l’idée des cartes postales ?
Tous mes précédents films, je les ai fait dans le midi, autour de Marseille plus précisément. Je suis de là-bas. Et là, c’est l’histoire de quelqu’un qui arrive à Paris. J’ai essayé de traiter ça de manière simple et insolite et donc en montrant les extérieurs de la capitale par des cartes postales. C’est une manière de faire très économique aussi mais surtout ça permet de donner cette impression du provincial qui découvre Paris, ses monuments et ses clichés.
Avez-vous déjà un autre projet ?
Oui. Je tourne à l’automne un film qui s’appelle Un Baiser s’il vous plait. Le casting est en court mais je pense à Frédérique Bel… teinte en châtain ! Grosso modo, il s’agit de l’histoire d’une femme mariée qui couche avec son meilleur ami pour le consoler. Et le problème, c’est qu’ils ont aimé ça. Ils sont embêtés car ils n’arrivent pas oublier ce moment apparemment inoubliable. Ils recommencent avec l’idée de désacraliser cet instant et ça s’avère encore plus formidable… Pour la suite… il faudra aller au cinéma, je ne vais pas non plus trop en dire.
Propos recueillis par Benoît Thevenin, le 16 juin 2006 à Nancy.
(1) Vénus et Fleur (2003), deuxième long du réalisateur après Laissons Lucie Faire (sortit en 2000). Emmanuel Mouret avait aussi signé en 1999 un moyen-métrage très remarqué Promène toi donc tout nu.