Alors que toutes les traces du crime de Benny semblent effacées, sa mère l’avertit : ‘pas de télé’. L’écran de télévision est ainsi, sans détour, désigné comme responsable des agissements de l’adolescent.
Benny, jeune lycéen, vit confortablement au sein d’une famille bourgeoise. Il noie son temps libre dans les vidéos qu’il loue. L’image exerce chez lui une profonde fascination. L’image, mais pas seulement l’image cinématographique. Avec ses camescopes, il filme les allées et venues dans sa rue, observe, épie même, le moindre mouvement. Il se filme lui-même. La télé est son miroir.
Dans les premiers plans du film, Benny regarde un cochon se faire abattre en gros plan. Retour arrière. Il se repasse les mêmes images en ralentis. Incontestablement, la fascination pour l’image qu’a Benny est malsaine. Il prend un réel plaisir à se confronter à elles, comme un jeu sadique où le but proposé au spectateur est de résister à la mise en scène de l’horreur. Quand Benny invite une jeune fille dans sa chambre, lui dévoile son univers, son attirance pour le voyeurisme le plus pervers et/ou le plus morbide, il se révèle très vite comme anesthésié à ces images. Il a, lui, dépassé le stade de la répulsion qui anime son amie. Ces images d’horreur, dénuées de tous contextes, ne provoquent aucune autre réaction que le plaisir ; un plaisir sans nom qu’il ne cherche pas à analyser. Il s’en gave, point. Doucement, la tension augmente. La jeune fille est comme coincée dans la chambre de Benny en même temps qu’elle ne cherche pas vraiment à en sortir. Il y a comme un jeu de séduction entre eux deux. Et l’accident s’impose inévitablement. L’horreur devient subitement réalité. Benny panique un instant et achève la fille. La scène est à la limite du supportable.
Haneke, tout au long du film, joue, manipule les techniques cinématographiques pour rendre inconfortable la position du spectateur. Celui-ci est confronté aux même démons qui perturbent Benny, à la différence près qu’ici, les images, pour nous, s’imbriquent selon la logique de l’intrigue, selon un contexte précis. La mise en scène du cinéaste autrichien est méthodique et même clinique. Clinique car son étude de l’image est semblable, en un sens, à un examen chirurgical. Aussi, parce que ses choix de filtres blancs ou bleutés, l’absence presque continue de bande son, induisent une ambiance lourde, oppressante. De même, la chambre sombre de Benny, où la seule source de lumière semblent être celles des écrans vidéos, renvoie à l’idée du cauchemar dans lequel Haneke nous invite.
La scène du meurtre est absolument exemplaire. Ce qui rend l’expérience de ce film bouleversante à tout point de vue, c’est l’habileté qu’à Haneke à suggérer l’ inacceptable. Le meurtre est filmé en plan fixe sur un moniteur renvoyant l’image que capte Benny par sa caméra. Le spectateur est inévitablement placé dans la position du voyeur. Cette séquence clé devient emblématique d’un film qui renvoie au spectateur sa propre image de voyeur pervers. Haneke nous démontre le pouvoir de fascination et d’occultation de l’image.
Une fois le meurtre commis, Benny se montre imperturbable. Il ne se rend pas compte de l’atrocité de son comportement. Son absence de sentiments nous impose donc l’idée d’un jeune homme corrompu par toutes ces vidéos. Haneke dénonce alors la dictature de l’image, fléau potentiel d’une jeunesse en perdition dans nos sociétés occidentales. La thèse est contestable mais Benny’s Vidéo, annonce clairement les procès d’intention que subiront par la suite des films comme Tueur nés d’Oliver Stone, Scream de Wes Craven ou encore Matrix d’Andy et Larry Wachowski.
Haneke, aujourd’hui célèbre dans le monde entier après sa Palme d’Or pour La Pianiste, met en exergue le pouvoir de manipulation qu’il existe dans l’idée de représentation de la réalité. Une récurrence dans la filmo de ce cinéaste autrichien particulièrement doué pour faire sentir cette évidence. Avec Benny’s vidéo, Haneke s’interroge sur les dangers de la manipulation des médias qui prétendent rendre compte immédiatement de la réalité.
Benny’s vidéo s’achève sur une note terrible, celle de la trahison que plus rien ne semble justifier. Le comportement toujours imperturbable de Benny interdit toute idée de culpabilité de sa part. Une interprétation possible est peut-être son plaisir sadique sans limite, son aveuglement total par rapport à la réalité. L’idée que les choses peuvent en arriver à ce point parce que les gens peuvent parfois, comme Benny, comme les tortionnaires de Funny Games, rejeter le monde et s’enfermer à l’intérieur d’un autre monde. En un sens, lorsque les gens s’excluent de la réalité en s’enfermant derrière des murs, ils se condamnent à mort.
Funny Games, sera le film suivant d’Haneke. Un prolongement tout autant douloureux, sinon plus, de Benny’s video. Dans ce dernier, le spectateur peut recevoir le film d’un point de vue où il est moralement en sécurité alors que dans Funny Games, Haneke enfonce le clou en rendant intenable cette position.
Pour peu que l’on s’ouvre à la réflexion d’Haneke, l’exploration de Benny’s vidéo se révèle délicate mais passionnante. Une exploration nécessaire, brillante de l’univers de l’image, antithèse d’un cinéma hollywoodien ultra-violent où la violence n’implique aucune réaction, pas plus qu’une réflexion critique.
A découvrir absolument, et poursuivre l’expérience avec Funny Games.
Benoît Thevenin
Benny’s video – Note pour ce film :
Sortie française le 14 avril 1993