« Longue vie à la nouvelle chaire »
Vidéodrome est une œuvre clé de la filmographie de cet étourdissant cinéaste qu’est David Cronenberg. Même si le film respire l’ambiance 80’s dans laquelle il a été tourné, il n’empêche que ce film a un côté visionnaire qui le rend terriblement contemporain.
Max Renn (James Wood) dirige une chaîne de télévision câblée. Son crédo : le sexe et la violence. Il puise dans le vice des spectateurs les ressorts de son succès. Il capte un jour une émission : Vidéodrome. On découvre dans ce programme des scènes ultra réalistes de tortures et de meurtres. Max est profondément troublé par ce qu’il voit. Il va vite constater être victime d’hallucinations et son organisme semble évoluer. Il comprend que le programme Vidéodrome modifie le comportement de ceux qui le regarde. A partir de là, il va essayer de trouver qui se cache derrière tout cela, quel en est le but et surtout, comment sauver sa peau.
Si Videodrome est tellement d’actualité c’est parce qu’on a atteint un stade ou l’emprise des médias sur le monde est telle que même 1984 paraît aujourd’hui crédible. Et Videodrome n’est pas loin de la contre-utopie d’Orwell.
Le film de Cronenberg démontre l’influence négative des médias sur les spectateurs, le goût et la soif pour le spectaculaire, l’extraordinaire. Il démontre aussi le cynisme des dirigeants de ces médias. Dans l’une des premières scènes du film, Max Renn participe à un débat télévisé. Son contradicteur essaie de le responsabiliser sur les questions éthiques que Max devrait se poser par respect pour son public. Pour Max, les choses sont beaucoup plus simples : la fin justifie les moyens.
Les hallucinations de Max mettent en lumière sa profonde amoralité. Il est un être de répulsion. Mais Cronenberg va beaucoup plus loin dans sa démonstration. Le film bascule peu à peu dans le fantastique et ceci donne une plus haute dimension à son discours.
Les K7 de Videodrome provoquent une tumeur mais aussi une profonde mutation du corps de son spectateur. On ne sait plus franchement ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Max hallucine régulièrement à cause de ces K7 et se retrouve ainsi projeté dans une réalité non pas virtuelle mais parallèle.
Une plaie ouverte se creuse au niveau de ses abdominaux. Cette plaie est une ouverture. Max y perd d’abord son arme ; cette plaie sera ensuite l’entrée des programmes de Videodrome. Ces programmes conditionnent dès lors Max. Il devient dès lors un objet et les enjeux se recentrent autour de lui. Pire que cela, il devient l’enjeu puisqu’il va se faire manipuler de part et d’autre.
Si Videodrome n’est pas si éloigné de 1984 c’est parce que l’ombre de Big Brother plane au-dessus du film. Les K7 sont le symbole de la volonté de toute puissance de ces manipulateurs. Les programmes Videodromme engendrent une mutation physique et psychologique des spectateurs. Le libre-arbitre est ainsi bafoué. Vidéodrome vise à l’assujettissement de ces spectateurs. Berlusconi comme Patrick Le Lay vendraient sûrement leurs mères pour avoir accès à un tel programme… Mais le fait que dans le film, les conspirateurs se cachent derrière une société de fabriquant de lunette renvoie à cette idée de Big Brother : l’œil qui nous surveille et nous contrôle.
De la même manière que Max va finalement se révolter contre cette règle qui peu à peu s’impose, Cronenberg nous invite à une réflexion. Quel est notre degré d’assujettissement à la télévision ? Il est primordial de ne pas se laisser engloutir par la télévision, de réagir à ce que l’on voit et de ne pas rester inactif. Cronenberg se garde bien de donner des réponses définitives mais il place le spectateur face à ses responsabilités. La solution de facilité réside en la passivité avec les risques que cela engendre : devenir esclave d’une entité virtuelle, la télévision, comme l’est Max via ses K7 ou encore devenir dépendant de la télévision à la manière de la Sarah Goldfarb de Requiem for a Dream…
Cronenberg a poursuivi sa réflexion avec eXistenZ avec une problématique élargie aux jeux vidéos. Il faudra peut-être encore quelques années pour que le propos de Cronenberg nous frappe avec autant de force que son discours dans Videodrome. Le point de contact entre les deux films ne réside d’ailleurs pas seulement dans le contenu éthique et philosophique de ces films. Cet autre point de contact c’est cette main-pistolet biomécanique facilement comparable à l’arme (le game-pod) dans eXistenZ. Une preuve éventuelle que Cronenberg a de la suite dans ses idées mais surtout une vision bien définie et parfaitement argumentée.
Benoît Thevenin
Videodrome
Sortie française le 16 avril 1984