Enfances de Yann Le Gal, Isild le Besco, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Ismaël Ferroukhi, Corine Garfin, Safy Nebbou (2008)

L’idée est originale et ne devrait pas manquer de susciter la curiosité des cinéphiles. Enfances réunit six courts-métrages, six tranches de vies anecdotiques et symboliques, des enfances de quelques uns des plus grands cinéastes de l’histoire du cinéma. En 12 minutes, de jeunes cinéastes d’aujourd’hui qui eux ont encore tout à prouver, racontent ces petites histoires sensées induire les caractéristiques de l’oeuvre à venir de ces bambins. Même si les histoires contées sont souvent graves (l’antisémtitisme, la mort d’une mère, une éducation très stricte et injuste, l’exclusion etc.), toutes sont traitées avec suffisamment de légèreté pour que la projection soit agréable. On a coutume de dire que les programmes de courts-métrages recèlent de films plus ou moins inégaux. Ici, on note une certaine homogénéité. Revue de détail des six films :

1. Fritz Lang par Yann Le Gal

Fritz Lang


« J’ai beaucoup aimé ma mère et c’est le seul bon souvenir de mon enfance »


1900, l’Autriche fait face à une montée de l’antisémétisme. Le jeune Fritz Lang est un bon petit chrétien, s’intéresse malgré son jeune âge à la politique et pose beaucoup de questions sur tout. Fritz à un grand frère, atteint d’une maladie de la peau et qu’il rejette comme la peste. Il cultive en parallèle une réelle haine contre son père et qui n’a d’égale que l’amour qu’il porte pour sa mère. Fritz Lang, réputé bien plus tard comme un réalisateur intransigeant, au comportement presque dictatoriel sur un plateau, se révèle ici déjà comme extrêmement intelligent, en proie à ses contradictions, mais doté d’une force de caractère très affirmé.

  • Yann Le Gal est scénariste. C’est sur son idée qu’a été initié Enfances
  • Fimo sélective de Lang (1890-1976): Les Trois Lumières (1921), Metropolis (1926), M. Le Maudit (1931), Le Testament du docteur Mabuse (1933), Furie (1936), Les Bourreaux meurent aussi (1943), L’Ange des maudits (1952), Règlement de compte (1953), Le Tigre du Bengale (1959)…

2. Orson Welles par Isild le Besco

Orson Welles

« Maman est morte un an plus tard. J’ai toujours eu le sentiment de n’avoir jamais été à la hauteur des attentes qu’elle avait placée en moi ».


Le jeune Orson Welles déclame très tôt des monologues de Shakespeare. Il est aussi un enfant fasciné par les tours de magie de son père. « C’est le regard qui fait le magicien » lui explique ce dernier. Orson voit également sa mère tomber gravement malade suite à une pneumonie. Il ressent une profonde culpabilité, laquelle n’a évidemment rien de rationnel. Comme dans quelques autres films du programme, la relation à la mère est essentielle. Talent précoce, auteur à 25 ans de Citizen Kane, Orson Welles n’aura cessé d’être tiraillé toute sa vie par des pressions contradictoires et auxquelles il était très sensible.

  • Actrice réputée, souvent vue chez Benoît Jacquot (Sade, A tout de suite etc.), Isild le Besco est aussi la réalisatrice de deux longs-métrages sauvages et âpres, le remarquable Demi-Tarif (2003) et le plus difficile Charly (2007).
  • Filmo sélective de Welles (1915-1985): Citizen Kane (1945), Le Criminel (1946), La Dame de Shanghaï (1948), Dossier Secret (1955), La Soif du mal (1958), Le Procès (1962), Une Histoire immortelle (1969)…

3. Jacques Tati par Joana Hadjithomas et Khalil Joreige

« La vie moderne est faite pour les premiers de la classe. Ce sont les autres que je veux défendre ».


Trop grand, Jacques Tati ne rentre pas dans le cadre de la photo de classe. Le photographe cherche un compromis pour garder un équilibre dans la photo sans exclure l’élève. Tati s’échappe soudain et une partie de cache-cache opère dans les couloirs de l’école jusqu’à ce qu’il revienne enfin pour la photo. Le film est le plus léger d’entre tous, par son côté évidemment burlesque. Tati ne porte pas encore la pipe, mais il est déjà très grand, trop grand et muet. Il n’y a pas de doute, Monsieur Hulot est en train de naître. Le burlesque n’ait de la modernité qui indispose Tati. Plus tard, dans ses films les plus ambitieux et les plus réussis, Tati évoquera avec une extrême acuité ce sujet majeur chez lui de la modernité (cf, Mon Oncle, Playtime et Trafic).

  • Réalisateurs de Perfect Day (2005), leur second long-métrage, Je veux voir, a été présenté dans la section Un Certain regard lors du festival de Cannes (lire notre critique).
  • Filmographie de Tati (1908-1982): L’Ecole des facteurs (1947), Jour de fête (1949), Les Vacances de Monsieur Hulot (1953), Mon Oncle (1958), Playtime (1967), Trafic (1971), Parade (1974).

4. Jean Renoir par Ismaël Ferroukhi

Jean Renoir

« Je sais que nous devons non pas repousser mais absorber l’étranger »


Le très jeune Jean Renoir arrive de la ville et s’installe avec sa famille dans une vaste demeure à la lisière de la forêt. Il fait bientôt la rencontre avec un enfant un peu plus vieux que lui. Une amitié improbable se noue entre eux, malgré leur extrême différence. Jean apprend à chaparder, braconner et s’éveille également à la sexualité. Le destin séparera brutalement les deux enfants mais, au contact de cet étranger, Jean s’est au moins enrichit humainement. Et malgré son éducation bourgeoise, Jean Renoir sera un artiste profondément intéressé par l’humain et l’idée de justice sociale.

  • Ismaël Ferroukhi s’est révélé à nous en 2004 avec son premier long-métrage, le très beau Le Grand Voyage. Le film a notamment reçu le Lion du futur du meilleur premier film lors du festival de Venise 2004.
  • Filmo sélective de Renoir (1894-1979): Boudu sauvé des eaux (1932), Les Bas-fonds (1936), Le Crime de Monsieur Lange (1936), La Bête humaine (1938), La Règle du jeu (1939), Le Carosse d’or (1952), Le Déjeuner sur l’herbe (1959)…

5. Alfred Hitchcock par Corine Garfin

« Il se peut que mon éducation, si importante chez un homme, et mon instinct transparaissent dans mon oeuvre »

Le seul court-métrage du programme en noir & blanc. Le jeune Hitchcock applaudit très fort une actrice de théatre. Le petit Alfred est amoureux d’elle et collectionne dans un album les photos qu’il trouve. Alfred est soumis aussi à l’autorité très forte, très cruelle de sa mère. Le film est peut-être un peu plus que tous les autres celui qui réunit le plus d’éléments des films qu’Hitchcock réalisera adulte. Une nuit qu’il est punit, Alfred est terrorisé par un orage et par la vision fantasmée de sa mère morte assassinée. Un jeu de suspens se crée dès lors qu’Alfred frissonne face aux ombres ou agit dans le secret de sa mère, et dans la peur d’être peut-être découvert… La mère évoque très fort l’image de Mrs. Danver, la gouvernante de Rebecca. Alfred tombe déjà amoureux d’une actrice et quelque plans rappellent par exemple Les 39 marches (dans le théâtre) ou Psychose (l’imposante demeure filmée en contre-plongée).

  • Corine Garfin prépare actuellement son premier long-métrage, Marie et l’épouvantail.  En 2003, son court-métrage La Collection de Judicael a reçu le Grand prix du court-métrage lors du festival de Gérardmer.
  • Filmo sélective de Hitchcock (1899-1980): Les 39 marches (1935), Une Femme disparaît (1938), Rebecca (1940), Les Enchaînés (1946), La Corde (1948), Fenêtre sur cour (1954), Sueurs Froides (1958), La Mort aux trousses (1959), Psychose (1960), Les Oiseaux (1963), Pas de printemps pour Marnie (1964) etc.

6. Ingmar Bergman par Safy Nebbou

L’équilibre de la famille Bergman est menacé à la naissance de la petite soeur d’Ingmar. Pour Ingmar et, surtout, son frère ainé, cette soeur est envahissante. Ils ne peuvent plus jouer comme avant et, surtout, leurs parents commencent à se disputer souvent. Le frère ainé soumet à Ingmar l’idée qu’il faut se débarrasser de leur soeur. Scènes conjugales, des relations familiales austères et tordues, le poids de la culpabilité, l’ombre de la mort… On retrouve dans cet instant de l’enfance de Bergman, la quasi totalité des thèmes majeurs de son oeuvre. La lanterne magique est inévitablement, déjà, le jouet préféré d’Ingmar et l’objet trône sur sa table de nuit.

  • Après  Le Cou de la Girafe (2004), le second long-métrage de Safy Nebbou, L’Empreinte de l’ange avec notamment Sandrine Bonnaire et Catherine Frot, sortira en salle le 27 août
  • Filmo sélective de Bergman (1918-2007) : Le Septième Sceau (1956), Les Fraises sauvages (1958), Persona (1967), Cris et chuchotement (1973), Scène de la vie conjugale (1974), Fanny et Alexandre (1982), Sarabande (2005) etc.

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Les vies des grands cinéastes portées à l’écran ?

La vie des cinéastes intéresse encore assez peu scénaristes, producteurs et réalisateurs. Le plus fameux exemple est sans doute Ed Wood de Tim Burton avec Johnny Depp (1995). On compte aussi Chaplin par Richard Attenborough (en 1993 et avec Robert Downey Jr dans le rôle) ou encore Citizen Welles (2000) dans lequel Liev Schreiber incarnait le génie Orson Welles en pleine conception de son chef d’oeuvre Citizen Kane. Di Caprio incarne lui le milliardaire Howard Hughes, notamment réalisateur du Banni, dans Aviator de Scorsese (2005). On note également que Roman Polanski verra bientôt sa vie transposée à l’écran dans un biopic signé par l’inconnu Damian Chapa (lequel jouera lui-même le rôle de Polanski).

Orson Welles est par ailleurs le héros d’une pièce assez fabuleuse, Votre Serviteur Orson Welles que nous avions chroniqué ici lors de sa présentation au théâtre Marigny à Paris en 2006

On peut aussi évoquer le court-métrage de Monte Hellman, Stanley’s Girlfriend, inspiré par la vie du jeune Kubrick à ses débuts, et montré à Cannes en 2005 ; ou encore L’Ombre du vampire, inspiré par la génèse de Nosferatu et dans lequel Willem Dafoe campe un bien inquiétant Friedrich W. Murnau.

Ils sont aussi quelques uns à avoir prêtés leurs traits à de grands cinéastes pour les besoins d’une fiction : John Lighgow et Stanley Tucci sont respectivement Blake Edwards et Stanley Kubrick dans Moi Peter Sellers, Vincent d’Onofrio est Orson Welles dans Ed Wood, Jacques Gamblin, Ged Marlon, Philippe Morier-Genoud, Laurent Schilling et Olivier Gourmet sont respectivement Jean Devaivre, Jean-Paul le Chanois, Maurice Tourneur, Charles Spaak et Roger Richebé dans Laissez-Passer de Bertrand Tavernier etc.

Benoît Thevenin

Il y a sans doute beaucoup d’autres exemples. Nous vous invitons donc à compléter la liste !



Enfances – Note pour ce film :


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