En 1989, Michael Mann réalise pour la télévision américaine L.A Takedown, récit de la traque d’un braqueur par un super flic à la suite de la spectaculaire attaque d’un fourgon blindé. Heat n’est ni plus ni moins que le remake de ce téléfilm, mis en scène cette fois avec des moyens décuplés et un casting de rêve. Michael Mann en profite bien sûr pour enrichir son intrigue, développer les personnages etc.
Le premier quart d’heure est déjà de très haute volée, le film démarrant dans l’action, tout au moins dans la préparation du braquage d’un fourgon blindé. Le moment de l’attaque représente le premier climax d’une intrigue ponctuée de moments forts orchestrés de main de maître par un cinéaste au sommet de son art.
Heat est la quintessence de toutes les films réalisés par Mann jusqu’alors, ses films purement urbains plus exactement. On retrouve quelques séquences qui rappellent Le Solitaire, son premier film, l’esthétique est dans la lignée du Sixième Sens et les personnages principaux évoque tout à la fois les deux films. Al Pacino est un superflic qui n’est pas sans rappeler le talent intuitif de Graham (William Petersen) dans Le Sixième Sens et De Niro incarne un braqueur romantique et violent qui est fait du même bois que James Caan dans Le Solitaire. Et puis, donc, l’intrigue dans ces grandes et moyennes lignes est celle de L.A Takedown…
Le film est célèbre notamment parce qu’il réunit pour la première fois directement Robert De Niro et Al Pacino, les deux plus grandes icônes du cinéma du dernier quart du XXe siècle. Les deux étaient déjà inscrit au générique du Parrain II de Coppola mais n’avaient aucune séquence ensemble. Heat est construit sur un principe du jeu du chat et de la souris. Il n’est donc pas évident tout de suite que les deux acteurs s’échangeront quelques répliques, ce que tout le monde attend pourtant. Michael Mann réussit donc à insérer une séquence assez surréaliste, assez tard dans l’intrigue, ou le flic et le braqueur se retrouvent en face à face à la table d’un café d’autoroute. La discussion permet de marquer leurs différences en même temps qu’elle façonne les personnages dans un face à face au sommet, effectivement, tant la stature des deux est exaltée avec équivalence. On sait aussi à partir de là, comment le film devra se terminer.
Est-ce à dire que tout pourrait dès lors être cousu de film blanc ? Non, du tout, ce serait faire peu de cas du reste du casting, et de toutes ses relations entre les personnages que Michael Mann tisse adroitement. Heat est quasiment un film choral, dans lequel De Niro incarne une figure paternaliste du gangster, ou il est un véritable Parrain et ou chacun des protagonistes principaux se trouvent impliqué dans une histoire intime qui contrebalance la seule obsession criminelle. C’est une constante chez Michael Mann, flics et criminels ont souvent une vie privée qui influe largement sur leurs choix au long du récit.
Au départ, Neil McCauley est un professionnel qui ne laisse rien au hasard, quitte à exécuter froidement un témoin quand la situation échappe un court moment à son contrôle. McCauley, est suffisamment organisé pour être inarrêtable. Le Lieutenant Hanna n’est pas moins brillant dans son art, il réussit à mettre ses pas dans ceux de McCauley mais reste toujours avec un temps de retard car c’est ainsi que se déroule le jeu. Le fait que les bandits soient au grand coeur les ramène à une dimension plus humaine, plus fragile et donc vulnérable.
A ce niveau là aussi flic et gangster sont au même niveau. Le mariage de Hanna vacille face à son obstination à vouloir arrêter les criminels. McCauley rencontre une jeune femme qui le pousse à vouloir mettre le clignotant. Chris (Val Kilmer) est follement épris de son amie qu’il malmène pourtant. Chacune de ses femmes représente comme une faille, par laquelle l’ennemi peut s’infiltrer, directement ou indirectement. Les femmes ont donc une importance déterminante, qui renforce l’impression d’une authentique saga criminelle avec ce que cela suppose de vision romantique.
Ceci pour dire que Heat n’est surtout pas qu’un simple film d’action, les personnages et les interractions entre chacun sont suffisamment riches et pleines pour que jamais l’intensité ne retombe à plat. Même lorsque le calme règne, il se passe quelque chose de stratégique qui maintient notre concentration.
Mais ceci dit, tout converge bien sûr vers ce pour quoi Heat est également très célèbre aujourd’hui. Michael Mann dirige son récit vers trois ou quatre moments clés qui sont autant de séquences d’action exécutées avec une impressionnante maîtrise. L’attaque initiale du fourgon blindé est un premier moment de forte tension, qui trouve un écho fabuleux avec l’attaque de la banque en plein coeur du film pour un gunfight d’anthologie entre policiers et voleurs. La séquence est un modèle du genre, chorégraphiée et exécutée avec une efficacité redoutable. Les autres instants clés à forte intensité sont moins spectaculaires, mais diffusent un suspens parfaitement géré, que ce soit le moment ou Chris échappe de justesse à l’étau resserré de la Police, celui ou Hanna et McCauley s’entretiennent face à face, ou la longue séquence quasi finale à l’hôpital.
Heat faisait l’évènement d’emblée pour la confrontation offerte au public entre De Niro et Pacino, mais on sait bien que cela ne suffit pas à faire un grand film, ce que leur autre réunion depuis (La Loi et l’ordre par Jon Avnet, 2008) prouve d’ailleurs. Mais Heat est bel est bien un monument de cinéma, un film construit avec finesse, réalisé avec une ambition de mise en scène monumentale et maîtrisée de bout en bout, une oeuvre tout en relief, riche, captivante, sans aucun temps mort. Personne n’a fait aussi bien depuis, pas même Mann lui même. Heat est un chef d’oeuvre du genre qu’il est difficile d’égaler.
Benoît Thevenin
Heat – Note pour ce film :
Sortie française le 21 février 1996