Quentin Tarantino

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Depuis la génération Scorsese, rares sont les cinéastes qui entretiennent publiquement avec leur art un rapport si affectif, si passionnel. La cinéphilie de Tarantino n’a rien à envier à celle d’un Truffaut ou d’un Allen. Si son cinéma est si riche, c’est d’abord parce qu’il en connaît les moindres secrets.

L’événement de la rentrée cinématographique 2003, donc, était bien la sortie, cinq ans après Jackie Brown, de Kill Bill, le nouvel opus de l’enfant terrible du cinéma américain.

Kill Bill

Kill Bill

Il a plus ou moins importé la mode asiatique à Hollywood, de City on fire, largement pompé dans Reservoir Dogs, aux films de sabres. Kill Bill en serait l’hommage, à Bruce Lee en particulier. Et si Tarantino a mis cinq longues années à nous offrir le joyau promis, c’est moins par cynisme à l’égard de ses fans que par fidélité envers l’actrice qui lui doit sa renommé, Uma Thurman, dont la grossesse à retardé le tournage et ainsi la sortie du film.

Sa notoriété, Quentin Tarantino la doit à Clint Eastwood et Catherine Deneuve, couple inédit qui lui remit le 23 mai 1994 la Palme d’Or du 47ème Festival de Cannes pour le désormais incontournable Pulp Fiction. Avec ce film, il a touché ce domaine de l’inconscient collectif qu’est la culture populaire. A trente ans à peine et seulement deux films, il devenait déjà un authentique maître, copié et célébré.

Deux ans plus tôt, Tarantino démontrait déjà avec Reservoir Dogs ses prédispositions pour le septième art et s’offrait les faveurs de la critique. Tarantino ouvre alors la voix d’un cinéma survolté, totalement déjanté et se fait le roi des jeux de massacre. Aujourd’hui (toutes proportions gardées), on se réclame de Tarantino comme les cinéastes de la génération précédente se réclamaient de Kubrick et comme ceux de la génération Kubrick pouvaient se réclamer d’Orson Welles. D’une certaine manière, les films de Tarantino souffrent, jusqu’à présent, d’un manque d’originalité  en ce sens qu’il n’a encore jamais fait mieux que mettre en scène de vulgaires polar de série B ; mais c’est justement ce qui fait la force de son cinéma, cette très nette capacité à transcender une intrigue par, d’abord, une profonde remise en question de la narration. Ensuite, il y a cette aisance technique empruntée au cinéma de Hong-Kong, parfois fustigé comme de l’esbroufe pure. Pourtant, à l’époque, Tarantino jette un pavé dans la mare et donne un coup de jeune au cinéma indépendant américain : plus d’humour, plus d’énergie, plus de moyens aussi. Et il est assez évident de constater à quel point la mise en scène de Reservoir Dogs et Pulp Fiction se marie aux thèmes de ces films, se justifie par rapport aux autres choix du cinéaste : direction d’acteurs, bande originale, narration…

Reservoir Dogs

Reservoir Dogs

Justement, les acteurs, Tarantino en connaît un rayon à leur sujet. En fait, il s’agissait même de la vocation première du monsieur, venu à Los Angeles au début des années 80 pour prendre des cours de comédie. Il bifurque un temps pour devenir scénariste-réalisateur de Reservoir Dogs. Le comédien frustré devient un scénariste de génie. Il s’écrit un petit rôle pour la mémorable scène d’ouverture de Reservoir Dogs (« Like a virgin, c’est l’histoire d’une fille qui tombe sur un gars avec une grosse bite« ) mais surtout offre des rôles en or aux comédiens qu’il admire depuis toujours. Tim Roth, Harvey Keitel et, dans une moindre mesure, Steve Buscemi lui doivent certainement beaucoup. Avec Pulp Fiction, il sort Bruce Willis des rôles ultra formatés  dans lequel il évolue depuis Piège de Cristal (Mc Tiernan, 88), révèle Uma Thurman et Samuel Jackson et, surtout, exhume John Travolta comme il ressuscitera plus tard Pam Grier, Robert Forster ( Jackie Brown) et David Carradine (Kill Bill).

L’après Pulp Fiction est délicate à gérer ; Tarantino est attendu au tournant, il le sait, et choisit de prendre son temps. Sa position toute fraîche de chef de file de la nouvelle vague du cinéma américain lui confère quelques pouvoirs inédits. Après un caméo drolatique dans le Desperado de son ami Robert Rodriguez, il produit, signe le scénario et tient l’un des rôles principaux du film suivant de ce dernier,  Une Nuit en enfer. Ecrire pour les autres n’est cependant pas nouveau chez Quentin. Il a ainsi notamment fait ses galons d’essai dans la cour des grands avec les scripts de True Romance de Tony Scott (92) et Tueur Nés d’Oliver Stone (93). Comme producteur, on lui doit entre autres Killing Zoe (93), le premier film de son co-scénariste sur Reservoir Dogs, Roger Avary (Les Lois de l’attraction).

Pulp Fiction

Pulp Fiction

Rory Kelly, quant à lui, offre à Tarantino un rôle clin d’œil dans Sleep with me où il se lance dans une savante digression sur le sous-texte homosexuel de Top Gun. Il apparaîtra ensuite dans Somebody to love d’Alexandre Rockwell, lequel participera à la réalisation, en compagnie d’Allisson Anders, Robert Rodriguez et Tarantino, du film à sketches Foor Rooms ; à oublier. Il enchaîne avec la réalisation d’un épisode d’Urgences et aide au scénario d’ USS Alabama de Tony Scott, pour lequel il ne sera pas crédité.

Tarantino se fait discret mais son influence à Hollywood est réelle. Il prépare en douce l’adaptation de Punch Créole du maître ès roman noir Elmore Leonard (auteur originel de Loin des yeux devenu  Hors d’atteinte sous la direction de Steven Soderbergh) ; l’occasion pour lui d’un vibrant hommage à la blackspoitation dont Pam Grier était l’égérie. Un genre ‘ghettoisé’ comme la culture afro-américaine l’a toujours été par rapport à la culture de masse. Cette culture, pourtant, Tarantino en est l’un des rares fans connus. Si Shaft (le remake est d’ailleurs la conséquence d’un regain d’intérêt pour le genre suite au succès de Jackie Brown) en est peut-être le fleuron, l’hommage de Tarantino s’appuie là bien plus sur  Foxy Brown ou encore Original gangstas, deux films ou Pam Grier tient le haut de l’affiche.

Jackie Brown

Jackie Brown

Sortant de cinquante ans d’oppression, le peuple noir sent un vent nouveau souffler sur la société américaine des années 70. On parle alors, bien que le terme soit extrêmement péjoratif, de Blacksploitation pour évoquer les films d’exploitation fait pour le public noir. A la même époque, Jimmy Hendrix joue du Rock blanc, le public blanc se déplace pour assister aux concerts d’Ike et Tina Turner ou James Brown … Les films de la blacksploitation véhiculent des valeurs positives et cherchent à s’éloigner des stéréotypes raciaux qui prévalent alors. Le mouvement s’éteint à la fin des années 70 faute d’avoir su se renouveler mais aura permis à quantité d’artistes noirs de se révéler dans divers domaines. Des gens comme Melvin Van Peebles ou encore John Guillermin (futur réalisateur de La Tour infernale), tirent leur épingle du jeu. Cela dit, il ne faut pas se faire d’illusions : la grande majorité des stars de ce système est placardée, oubliée et c’est encore plus vrai pour tous les artistes anonymes de cette époque bénite. Pam Grier ne fait pas exception et fera son chemin de croix jusqu’à ce que l’extrême sollicitude de Tarantino ne lui offre une seconde chance.

Jackie Brown est donc cette chance. Ce film est très certainement l’œuvre de la maturité, à 34 ans, pour Quentin. Son film est plus posé, moins chien fou mais toujours aussi réfléchi. Entre les mains de n’importe quel tâcheron de Hollywood, cette œuvre n’aurait été qu’une vulgaire série B mais Tarantino transforme tout ce qu’il touche en or. Les dialogues sont toujours aussi savoureux mais il y a moins d’effets dans les images. Le rythme est moins soutenu et Tarantino installe ses personnages dans une mise en scène qui s’installe davantage dans le temps que dans l’espace.  Pour autant, Jackie Brown n’est pas un film ennuyeux, oh non. En authentique cinéaste qu’il est – les anti Pulp Fiction le nie alors- Tarantino témoigne d’un sens du rythme assez exceptionnel et les 2h30 du film se déroule le plus limpidement du monde. L’utilisation de la musique soul est impeccable avec cette façon unique de faire démarrer le bon morceau au bon moment. Le film contient sa dose d’humour sarcastique très tarantinesque et s’inscrit dans l’exacte continuité des films précédents de Quentin Tarantino. Avec Jackie Brown, plus qu’avec les autres, il nous transmet son amour du cinéma comme seul les très grands savent le faire.

Après ce nouveau coup de maître, Tarantino nous refait le coup de l’après Pulp Fiction, se faisant oublier du grand public tout en laissant planer son ombre imposante ; s’autorisant même une apparition remarquée dans un épisode de la première excellente saison de la série Alias. Après avoir préparer tranquillement son nouveau projet, Tarantino nous livrera enfin, à l’automne 2003,  son premier volet de Kill Bill suivi de sa suite en mai 2004.

Aujourd’hui, Tarantino, remis de sa relative déception de n’avoir pu remettre la Palme D’or 2004 à  Old Boy, est crédité à la réalisation de Sin City du toujours audacieux Robert Rodriguez.

Benoît Thevenin

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