Dans When we were kings, le documentaire de Leon Gast consacré au combat à Kinshasa entre Mohamed Ali et George Foreman, Spike Lee raconte l’importance historique du personnage qu’aura été tout au long de sa carrière sportive et même au-delà ce fabuleux boxeur qu’était Mohamed Ali. Spike Lee a consacré assez de biographies aux héros de la communauté noire américaine pour laissez Ali à Michael Mann. On attendait pas forcément pareille initiative de la part du réalisateur de Heat et Révélations mais… pourquoi pas après tout.
Le film aura été une déception au box-office mais on ne peut guère s’en étonner. L’Ali de Mann ne ressemble pas vraiment aux traditionnels biopics mis en boîte à Hollywood. Mann installe d’emblée cette histoire dans son contexte historique. Quand le film commence, le boxeur porte encore le nom offert par ses parents. Cassius Clay bat Sonny Liston et accroche une première ceinture de Champion du monde des Poids lourds. Cassius se fait appeler Cassius X, en hommage à son mentor Malcolm X, porte parole du parti politique et religieux Nation of Islam. Cassius adhère au mouvement, se converti à l’Islam et devient Mohamed Ali.
Pour Michael Mann et Will Smith, le projet d’un film sur Mohamed Ali représente un défi considérable. Restituer l’émotion brute d’une confrontation sportive, cela relève de la gajeure. Certes, le public n’est jamais, quelque soit le sujet, constitué d’une majorité de puristes mais quand même, il y a un minimum de détails à respecter. Le frêle héros d’Independence Day ressemble a priori assez peu à l’athlète mais un lourd travail de musculation, la prise volontaire de poids auront suffit à ce que la transformation opère. Will Smith est crédible, c’est très bien mais là n’est pas le plus important. Ali était réputé notamment pour son style, sa fougue, son jeu de jambe sur le ring. Il est assez impressionnant de constater que Will Smith a en grande partie réussi à restituer la façon de boxer d’Ali. La performance mérite d’être saluée.
Le film ne vaut cependant pas que pour la performance de l’acteur. Michael Mann est depuis un moment reconnu pour son talent formel, et il ne faillit pas à sa réputation. Dès les premières images, le style de Michael Mann saute aux yeux, dès le premier footing d’entraînement de Cassius dans la nuit de Louisville, dès les premiers gros plans en grand angle etc. On remarquera aussi que Mann introduit pour la première fois des images numériques, avec une évidente ambition de réalisme, laquelle à toujours animé le cinéaste et qui ne se démentira jamais par la suite. L’effet reste discret mais l’impression de réalisme est tout de même prégnante.
Si le film a connu un semi-échec public, c’est probablement parce qu’il est construit sur un modèle différent des biopics traditionnels. Ali a beaux être un homme à femmes, les histoires amoureuses sont expédiées. Mann ne verse pas dans le sentimentalisme ou le romantisme à l’eau de rose. La mythologie de son héros, il la reconstitue progressivement en disséminant les ingrédients qui au fur et à mesure auront permis à Ali de prendre la place qui est la sienne dans l’imaginaire collectif, et même mieux, dans l’Histoire puisqu’il s’agit véritablement de ça. Le film n’est pas tout à fait tout à la gloire sportive de son héros, qui n’est pas toujours montré dans une attitude avantageuse.
En revanche, le film fait bel et bien le portrait de ce champion présomptueux et orgueilleux qui jamais ne se laissera dicter les choix des autres. Ali est un champion différent car son charisme et son aura dépasse le cadre exclusivement sportif. En dehors du ring, son fait d’arme fut son refus de s’engager dans l’armée et son antipatrotisme, à un moment où les Etats-Unis s’enlisent dans la guérilla au Viet-Nam. Ali sera soudain, comme beaucoup des héros de Michael Mann, seul contre tous. Il le dit lui même, ce n’est pas un boxeur qu’il doit affronter, mais le Gouvernement. Ali est empêché de boxer. On lui retire sa licence. On l’interdit de quitter les Etats-Unis.
Mais s’il est un endroit vers où le film doit converger, c’est bien Kinshasa, lieu qui vaudra à Ali son entrée définitive au Panthéon des plus grands mythes sportifs. L’épisode est assez largement conté dans le film et Michael Mann ne se gêne pas pour exposer en quoi Mohamed Ali et George Foreman auront été instrumentalisés par des gens plus malins qu’eux.
Pour les deux boxeurs, il s’agit de redonner à l’Afrique un peu de ce qu’elle a perdu par l’esclavage vers les Amériques notamment. Dans sa grande naïveté, Ali croit en cette cause et la défend. L’enjeu se situe quand même ailleurs car ce combat n’a d’autres but que de placer le Zaïre et son Roi Mobutu au centre de l’attention internationale et pour Don King, le promoteur, de réaliser une opération financière de tout premier ordre.
Michael Mann restitue parfaitement l’engouement extraordinaire que suscite l’organisation de ce combat. Ali est donné perdant mais son exploit aura une raisonnance qui là encore dépasse le seul cadre du sport. Mais si le film est si réussi, c’est parce que sur ce point également, Mann fait preuve d’une impressionnante maîtrise. La boxe au cinéma a souvent été filmée mais Michael Mann réussi par moment à réinventer la façon de mettre en scène ces échanges de coups de poings. Le combat est saisissant, ressenti dans sa plus grande intensité et c’est tout de même un miracle que de réussir ainsi à procurer des émotions brutes plus ou moins comparables à la magie de l’instant sportif. Cette réussite tient d’une part à la mise en scène formelle de Mann mais aussi pour beaucoup au travail sonore qui permet à chaque impact de nous faire ressentir véritablement la violence du choc. Le travail sonore c’est aussi la bande-originale, ici proprement envoutante.
Michael Mann a réussi à offrir à Ali un film juste, débarrassé de toute complaisance, un témoignage rigoureux et passionné que méritait Mohamed Ali. On est vraiment heureux que ce soit un cinéaste de la tempe de Michael Mann qui se soit attelé à l’épreuve. Le résultat est exemplaire.
Benoît Thevenin