Max (Jean Gabin) et Riton (René Dary), deux truands associés depuis près de vingt ans, viennent de réussir le coup de leur vie, le vol de 8 lingots d’or d’une valeur totale de 50 millions d’anciens francs. Quelque mois plus tard, le grisbi reste à l’abri, bien caché par Max.
Max est un véritable parrain, qui règne sur le milieu autour de Pigalle, et qui est entouré des plus jolies pépées, dont Josy (Jeanne Moreau), la maîtresse de Riton. Ce dernier parle un peu trop et Josy révèle l’information de la réussite du coup à son amant Angelo (Lino Ventura), un trafiquant de drogue qui se montre soudain prêt à tout pour récupérer le magot…
Aussi curieux que cela puisse paraître, le rôle de Max qui semble taillé pour Jean Gabin ne lui était initialement pas destiné. Le héros de La Grande Illusion et de La Bête Humaine, qui a connu une période creuse dans la décennie des années 40, reste l’acteur en vogue mais n’est plus vraiment un jeune premier. C’est pourtant à ce type d’acteur que Jacques Becker songe pour ce personnage, réticent à l’idée d’engager Gabin malgré les bons conseils reçus de toutes parts. Becker craint que l’aura de Gabin prenne le pas sur son jeu. Il propose le rôle à Daniel Gélin, qui refuse car il s’estime trop jeune pour jouer Max, et songe ensuite à François Périer…
Gabin s’apprète à retrouver Marcel Carné pour tourner L’Air de Paris lorsque finalement Becker fait appel à lui, ce qui ravit Gabin, enchanté par le scénario et le soin apporté à la construction des personnages. Aux côtés de la star, René Dary est choisit pour jouer Riton, lui dont on avait tenté dans les années 30 de faire un rival de Gabin. Becker propose le rôle de Pierrot à son ami Paul Frankeur, alors en galère et sans travail, celui de Josy à la belle débutante Jeanne Moreau, et celui d’Angelo à Lino Ventura, un inconnu, ancien catcheur reconverti comme organisateur de combats…
Lino Ventura fera forte impression pendant le tournage, lui qui doutait de son potentiel à jouer la comédie, et Jean Gabin le prend sous son aile, convaincu déjà que le bonhomme aura une belle carrière…
Pour Jean Becker, Touchez pas au grisbi est un projet qui doit lui permettre de se remettre de ses derniers échecs commerciaux, Casque d’Or et Rue de l’Estrape. C’est d’ailleurs pour cette raison, parce qu’il était plus évident que le film serait un succès avec Gabin plutôt que sans lui, que Becker se montra plus conciliant à lui offrir le rôle.
Becker est considéré comme un des meilleurs cinéastes de l’époque, loué pour la rigueur de son travail. Touchez pas au grisbi, adaptation d’un roman d’Albert Simonin, est réalisé avec le même sérieux, le même soin, la même méticulosité qu’à son habitude. Pendant l’essentiel de la durée du film, la réalisation est sobre, sans artifice et s’efface quelque peu derrière le charisme des comédiens. Le titre est assez évocateur pour que l’on comprenne que quoi qu’il arrive dans cette histoire, il ne faut surtout pas chercher des noises au grand patron. Ainsi, le récit converge lentement vers la confrontation brutale et spectaculaire entre Gabin et Ventura, dans une très efficace séquence de poursuite et de fusillade qui affirme la belle maîtrise du cinéaste.
Touchez pas au grisbi sera le succès commercial espéré, et même un succès critique, Gabin recevant même la Coupe Volpi à Venise pour son rôle de Max. Les réactions tardent tout de même pour proposer des rôles au nouveau venu, ce Lino Ventura qui tient brillamment son personnage face au patron. Gabin l’a largement pris en affection pendant le tournage et continuera de l’aider ensuite, le recommandant à ses côtés pour Razzia sur le Schnouf (Decoin, 55), Crime et Châtiment (Lampin, 56) et Le Rouge est mis de Grangier en 57. Après ça, la carrière de Ventura sera bien lancée…
Benoît Thevenin
Touchez pas au grisbi – Note pour ce film :
