Les plus belles et les plus profondes histoires sont souvent les plus simples. Les Toilettes du Pape ne déroge pas à cette idée. Réalisé par un duo de cinéaste dont l’un (C. Chalone) a été chef opérateur sur plusieurs films de Fernando Meirelles (La Cité de Dieu, The Constant Gardener et The Blindness) Les Toilettes du Pape est autant humble que ces personnages. Humble mais d’une richesse incroyable. Nous n’avions plus de nouvelles du cinéma uruguayen depuis Whisky (Pablo Stoll, Juan Pablo Rebella, 2004), mais chaque fois ces nouvelles sont pleines de promesses…
Nous sommes en 1988 à Melo, petite ville uruguayenne à la frontière avec le Brésil. Chaque jour, Beto et quelques amis enfourchent leurs vélos et font transiter divers produits de contrebandes nécessaires à la survivance économiques des classes les plus modestes de la ville. Beto est habité par une bonne humeur constante qui cadre pourtant mal avec le contexte dans lequel il lutte. Beto a toujours une idée d’avance, preuve de son intelligence et de sa foi inébranlable. Lorsque le Pape Jean-Paul II est annoncé en visite à Melo, toute la ville est en ébullition. Des millions de fidèles sont attendus et chacun espère bénéficier économiquement de cette exposition particulière. Beto a de la suite dans les idées et imagine construire des toilettes publiques où les pèlerins pourront venir se soulager…
Beto doit faire face à une certaine hostilité de la part de ses proches. Son projet paraît fou et l’oblige à multiplier les allers-retours de contrebande pour arriver autant à financer son entreprise, que pour la construire avec des matériaux qu’il soit aller chercher. Beto se donne du mal et pédale sur son vélo plus d’une centaine de kilomètres par jours. Malgré la douleur qui ronge son genoux, il ne se plaint pas et continue toujours. Il se heurte néanmoins au regard de sa fille. Cette dernière rêve d’émancipation, se voit journaliste à Monteviedo mais voit son père investir l’argent mis de côté pour ses études dans une entreprise incertaine et quelque peu loufoque.
Autour de Beto, toute la ville de Melo rivalise d’inventivité pour récupérer une part du gâteau offert par le Pape. Tous investissent et préparent un immense marché qui au bout du compte devrait les aider à se sortir de la condition dans laquelle ils sont pour l’heure englués.
Enrique Fernandez et César Charlone, les cinéastes, situent leur regard à hauteur d’hommes. Le film est gonflé par un vent d’optimisme qui habite tous les personnages ou presque. Celà n’empêche pas une certaine morosité, la menace que font peser autant les douaniers que la figure locale de la contrebande. Cette morosité est parfaitement balancée par la foi de Beto, sa volonté forcenée, et l’humour qui ponctuent cette belle histoire. Rien n’est facile à Melo mais les cinéastes ne jouent surtout pas la carte du pathos. Ce qui les intéressent, c’est de regarder cette communauté multiplier d’efforts pour se sortir d’une certaine misère, même si ça ne peut être que provisoire. Les cinéastes sont comme les personnages : modestes, attachés à des valeurs simples et fondamentales comme le partage, l’amour du prochain, la confiance. Mais le film va bien au-delà de ça. Car malgré la simplicité apparente du récit, ce qui se noue dans le film en dit bien plus sur l’humain que n’importe quel discours. Sans jamais rien revendiquer, sans jamais se plaindre de quoi que ce soit, les personnages comme les cinéastes délivrent un message profond.
Les Toilettes du Pape est une des merveilles de ce début d’année. Le film est tendre, un peu amer parfois, mais charme par toute la lumière qu’il contient. Toute la ville de Melo, à l’exemple de Beto, ne cessera jamais de croire, ne cédera jamais à la fatalité. C’est extraordinairement beau et il faut absolument se laisser tenter par ce voyage.
Benoît Thevenin
TRIVIA : Cesar Charlone, l’un des deux réalisateurs du film, a été nommé aux Oscars en 2004 pour son travail sur La Cité de Dieu de Fernando Meirelles, dont il a signé la photo. Le parcours de Charlone est intrinsèquement lié a celui du cinéaste brésilien. Après des débuts comme chef opérateur sur les films de Sergio Rezende, Charlone entame sa collaboration avec Meirelles en 2000 à l’occasion de la série Palace et lui restera toujours fidèle (jusqu’a aujourd’hui en tous les cas) avec The Constant Gardener (2005) et The Blindness (2008). Meirelles offre aussi à Charlone sa première expérience de réalisateur avec un épisode de sa Cité des Hommes. César Charlone a aussi travaillé avec quelques cinéastes américains prestigieux : Spike Lee (Sucker Free City en 2004) et Tony Scott (Man on Fire, également en 2004). Les Toilettes du Pape, coréalisé avec Enrique Fernandez, est son premier long-métrage.