Mysterious Skin est le quatrième long métrage de Gregg Araki. Le moins désespéré, le moins trash, mais le plus dur. Le cinéma de Gregg Araki, jusqu’à ce jour, était un cinéma totalement nihiliste, sans espoir. Dans l’esprit, il rejoignait par certains aspects ce même côté anti-idyllique de Larry Clark. Le cinéma de Gregg Araki etait aussi un cinéma fauché, underground, bricolé. Avec Mysterious Skin, Araki signe son œuvre de pleine maturité. Moins déjanté dans sa mise en scène mais d’une rare inventivité tout de même, Araki livre un conte dès plus cruel, dès plus tabou et le traite avec une telle sensibilité que l’on ne peut l’accuser de rien sinon de vouloir dénoncer un fléau devant lequel on a toujours eu tendance, même aujourd’hui, à détourner le regard. Le fléau en question, c’est la pédophilie. En dehors d’Happiness de Todd Solondz (qui ne traitait pas directement du sujet) et War Zone de Tim Roth, je n’ai aucun souvenir d’un film parlant ouvertement de pédophilie.
Un entraîneur de base-ball a une façon bien à lui d’aimer ses jeunes joueurs. Lorsqu’il les invite à la maison, ce n’est pas que pour jouer à l’Atari. Deux enfants vont être abusés en même temps par ce type. Quelques années plus tard, le traumatisme est toujours là et, bien entendu, irréversible. Pour l’un (Brady Corbet), le traumatisme a été instantané. Il a perdu cinq heure de sa vie, cauchemarde régulièrement et en vient à être persuadé qu’il a été enlevé par des extraterrestres. Intérieurement il souffre, il a besoin de comprendre ce qu’il a subit et sexuellement, il est totalement déconnecté, asexué même.
L’autre enfant, Neil (Joseph Gordon-Levitt) est devenu un gigolo au cœur de pierre. Insensible à tout, machine sexuelle, il n’a aucun goût et donc aucun dégoût pour ce qu’il fait. Il joue perpétuellement à la roulette russe en refusant obstinément de protéger ses rapports sexuels. Il va jusqu’à attraper des morpions avant de bloquer totalement, telle une prise de conscience tardive mais essentielle, devant le corps scarifié d’un sidéen totalement sans remord. Cette scène, intense comme rarement est emblématique de l’évolution d’Araki lui-même.
Il y dix ans, quand il faisait The doom generation ou même il y a cinq quand il réalisait Nowhere, Neil aurait baisé avec ce type, chopé le virus et crevé comme un chien. Qu’on ne s’y trompe pas pour autant, Araki ne s’est pas assagi, il est juste plus posé et c’est une nuance d’importance. Son cinéma distribue toujours autant de claques, le drapeau américain est brûlé tel un torchon sur la place publique et tout n’est qu’un vaste cauchemar. Ici l’espoir semble jaillir mais quand le film s’achève, la lumière n’est faite que sur l’histoire car les personnages devront eux vivre à tout jamais avec leurs démons dans les ténèbres. Les conflits intérieurs ne sont pas résolus. Pire il sont condamné à vivre avec. Milton a écrit ceci dans Le Paradis perdu « Long et dur est le chemin qui de l’Enfer mène à la lumière ». On leur souhaite bon courage.
Benoît Thevenin
Mysterious Skin – Note pour ce film :
Sortie française le 30 mars 2005