L’époque le veut, on assiste depuis quelques années à une résurgence du cinéma paranoïaque, ou du moins, ils sont légions les films qui s’attaquent à la puissance des multinationales. (Cf. Michael Clayton, The informant, The Constant Gardener etc.). Jeux de pouvoir est l’adaptation au cinéma de la mini série britannique State of Play, qu’Arte diffuse actuellement à raison d’un épisode tous les vendredi soir.
David Yates, le réalisateur de la série, préférant se consacrer à la lucrative franchise Harry Potter, les reines sont repris par Kevin McDonald, documentariste réputé (Un Jour en Septembre, Mon Meilleur ennemi), qui est brillamment passé à la fiction avec l’impressionnant Dernier roi d’Ecosse.
L’action est ici transposée du Parlement britannique au Congrès américain. Cal McAffrey (Russell Crowe) est un journaliste de la vieille école (comprenez qu’il écrit encore pour un journal papier), en charge d’enquêter sur le meurtre d’un minable toxicomane. Stephen Collins (Ben Affleck), son meilleur ami, est un éminent politicien promis à un brillant avenir. Collins auditionne les protagonistes d’une affaire très opaque concernant les contrats passés par la Défense nationale. Lorsque son assistante trouve la mort, accidentellement ou pas, happée par le métro, de nombreuses questions remontent à la surface…
Jeux de pouvoir condense autour de cette histoire de nombreuses questions pertinentes et d’une actualité permanente. Le pouvoir déclinant de la presse papier, soumise – du moins dans le film – à la concurrence de la grande foire médiatique orchestrée par des journaux télé à la déontologie douteuse ; l’émergence de la presse web, le lobby des marchands d’armes etc.
Kevin MacDonald touche à des problématiques intéressantes mais qui ne trouvent pas le temps d’être complètement déployées. Les 2h du film, comparées aux 5h de la série, paraissent de ce point de vue, insuffisantes. En revanche, cela permet au cinéaste d’avoir à sa disposition tous les ingrédients pour un excellent thriller.
MacDonald s’acquitte particulièrement bien de sa tâche. L’intrigue est menée tambour battant, sans rupture de rythme, et avec quelques morceaux de bravoure, en témoigne la séquence d parking pour un moment à très haute tension ou le cinéaste affirme par là même son savoir faire technique (excellent découpage). De cette manière, le film nous prend et on ne le lâche pas.
Jeux de pouvoir est une vraie réussite mais on ne peut s’empêcher quand même de pondérer notre perception. Le fait même que l’on retrouve Russell Crowe en tête d’affiche, nous invite à mesurer la différence avec Révélations, dans lequel il jouait aussi. Michael Mann a choisit de traiter son sujet à l’inverse de la méthode optée par Kevin MacDonald. Dans Révélations, les enjeux thématiques (la fragilité de l’entreprise médiatique face aux questions économiques par exemple) faisaient l’intérêt même du film, sans chercher absolument à produire du divertissement et du spectacle. C’est tout la différence avec Jeux de pouvoir, oeuvre intéressante sans le moindre doute, mais qui privilégie d’abord l’action et le suspens. Les questions sous-jacentes à l’intrigue ne sont de fait que secondaires. Cela n’enlève absolument rien à la réelle efficacité du travail de Kevin MacDonald, mais on se rend compte que le film ne s’élève pas aussi haut qu’il aurait pu.
Le constat est d’autant plus évident que Jeux de pouvoir souffre d’un casting très inégal. Ben Affleck n’a d’aucune manière la stature suffisante pour son rôle. Comme à son habitude, il est livide, sans aspérité, et jamais crédible. Le constat est d’autant plus cinglant que face à lui, Russell Crowe vit son personnage à fond, avec force et conviction et sans aller jusqu’a l’outrance. A côté d’eux, à l’exception de Rachel McAdams par ailleurs plutôt convaincante, les autres personnages n’ont que peu de place pour s’exprimer. Robin Wright Penn et Jason Bateman sont réduit à des rôles de faire-valoir. Seule Helen Mirren s’impose vraiment en rédactrice en chef, tiraillée par son désir de publier un scoop qui pourrait soigner la santé économique de son journal, et par l’absolue nécessité de se prémunir de toutes contre-attaques juridique.
Sans être incontournable ou génial, Jeux de pouvoir se révèle un excellent thriller, une oeuvre captivante qui se permet de questionner un minimum le spectateur en des termes qui ne feront de mal à personne. On remarque aussi que le le film révèle la complexité et la sensibilité de la question de la privatisation de la défense nationale américaine. Ce sujet fonde toute la narration de la saison 7 de 24h Chrono, à croire qu’il y a là vraiment matière à un débat difficile et dangereux, ou qui en tout cas nourris quelques tentations paranoïaques…
Benoît Thevenin