The Limits of control de Jim Jarmusch (2009)

« Les meilleurs films sont comme des rêves que l’on est pas sûr d’avoir fait ». Cette déclaration, par Tilda Swinton dans The Limits of control,  raisonne comme un manifeste. Jarmusch affirme par là le sens entier de sa démarche, jamais complètement inaccessible au plus commun des spectateurs et en même temps suffisamment étrange et vaporeuse en apparence pour susciter nombre d’interrogations. Le cinéaste mène depuis trente ans maintenant sa barque explorant toujours un même schéma minimaliste, répétitif et lancinant.

Les personnages de The Limits of control n’ont pas de nom. Ils sont anonymes, mystérieux, on ignore ce qu’ils font et, pour celui dont on accompagne les pas (Isaach de Bankolé), on ne sait pas ou il va. L’action se déroule essentiellement à Séville, mais on ne perçoit pas grand-chose du but poursuivit. Le héros solitaire est sans doute là pour un travail, on le devine tueur à gage. Il ne parle presque pas et adopte une conduite stricte, rodée et précise, qui ne l’écartera jamais de son objectif .  « no drugs, no mobile, no sex ».

Ce personnage solitaire est un héros zen, et c’est l’adjectif qui colle le mieux au cinéma de Jarmusch en général. La méditation est l’intérêt principal de son travail. Le cinéaste est dans l’économie, de mots et d’action, et il cultive cela avec tant de malice que l’on est comme happé par le vide, fasciné par ce que l’on ne voit pas, persuadé que l’on est que le mouvement aboutira à un écueil obligatoire, que nous retomberont sur nos pattes. Le spectateur est maintenu dans un état suspendu et incertain, mais avec une absolue confiance accordée au réalisateur, car l’on pressent que le voyage n’est pas vain.

Le héros s’inscrit lui-même dans ce schéma là, dans la logique d’un rituel qui ne peut être qu’être perçu qu’étrangement par tout regard extérieur. Le héros est lui-même figé dans une attente qu’il ne maîtrise pas. Assis à la terrasse d’un café, il commande deux espressos, patiente jusqu’à l’arrivée de quelqu’un qu’il ne connait pas, échange une boîte d’allumettes contre une autre, écoute quelques considérations sur l’art auxquelles il ne répond pas.

La mécanique du film est simple, mais cohérente avec  la plupart des autres films de Jarmusch.  The Limits of control s’offre presque à nous comme un point d’aboutissement de son travail. Narrativement , on est très proche de Night on Earth (1991), un film évanescent (déjà) qui pouvait laisser perplexe (répétition lente de rencontres hasardeuses et de dialogues à la fois relativement creux en surface et souvent ironiques) mais qui prend davantage de valeur à mesure que Jarmusch construit son œuvre. De manière plus générale encore, Jarmusch adopte une démarche visant à l’épure complète. On assiste par exemple à une répétition des scènes de café, mais sans les dialogues de Coffee and Cigarettes. Isaach de Bankolé rappelle Forest Whitaker dans Ghost Dog (1999), adopte une même concentration, sauf qu’il est lui débarrassé de toutes caractéristiques singulières. Forest Whitaker incarnait un solitaire quelque peu spectaculaire, par son maniement du sabre, par son imprégnation forte dans la culture hip hop, et par cette démarche unique, lourde, que la plupart des spectateurs cherchaient à imiter en sortant de la salle. Dans The Limits of control, le héros reste droit, imperméable, imperturbable. Il n’y a rien pour le distinguer vraiment, sinon un sac banal et un étui à guitare.

Le travail d’épuration se retrouve logiquement dans la mise en scène, sophistiquée, précise, mais discrète. Un travail de métronome, proprement fascinant, et éclatant grâce au travail de Christopher Doyle, le chef op’ le plus estimé du moment grâce à son travail avec Wong Kar Waï (mais aussi sur Vagues invisibles de Pen-Ek Ratanaruang, la Jeune Fille de l’eau de M.J Shyamalan et Paranoïd Park de Gus van Sant).

En cela, Jarmusch impose plus que jamais une proposition de cinéma qui est à l’exacte opposée de celle offerte par Tarantino. Les deux ont en commun de régurgiter tout un ensemble de citations et références à la pop culture, l’un de manière très ostensible, avec des monologues impressionnants, une violence spectaculaire qui nous saute à la figure, un rythme soutenu et implacable. Jarmusch se place lui plus volontiers en esthète, adopte une attitude raffinée qui oblige à la méditation. The Limits of control ne marque pas directement, il s’imprime dans la conscience du spectateur, oblige à une introspection naturelle qui est la preuve même que jamais le film n’est creux. L’état de perplexité préalable qui est le notre quand les lumières de la salle se rallument, que l’on se retrouve subitement projeté dans notre réalité, se mue progressivement. Les images et les quelques mots restent. On est comme au sortir d’un rêve que l’on est pas sûr d’avoir fait.

Benoît Thevenin


The Limits of control – Note pour ce film :
Sortie française le 2 décembre 2009

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Aucun commentaire sur “The Limits of control de Jim Jarmusch (2009)”

  1. Nicolinux dit :

    Critique vraiment intéressante, pleine d’arguments et très documentée, c’est très
    plaisant. Je me rends compte qu’il me reste un
    peu de boulot avant de bien connaitre Jim Jarnush.

    En tout cas, ça donne envie de voir son dernier film !

  2. Foxart dit :

    C’est marrant, les Jarmush ne me tentent plus depuis des années… mais je finis toujours par les voir en DVD et me rendre compte que j’ai bien tort…lol (Dead man, Gosth dog, Broken flowers).
    En fait c’est un cinéaste qui me passionne mais qui n’arrive pas à m’attirer suffisamment pour me déplacer au ciné…
    Il faudrait peut-être que je me pousse au cul pour aller voir celui là, quand même !

  3. J’ai adoré ce film, qui est pour moi aussi porteur de beaucoup d’humour. Tous les agents de l’organisation sont comme les muses protectrices des arts, et l’initiation à l’imagination est non seulement subtile mais aussi très puissante! j’y trouve des références à Paul Auster et à John Cassavetes! à voir absolument!

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