[Le Père de mes enfants] Interview avec la réalisatrice Mia Hansen-Love

Le premier film de Mia Hansen-Love (Tout est pardonné, 2007) devait à l’origine être produit par Humbert Balsan. Ce producteur singulier connut un destin tragique.  La jeune réalisatrice s’est inspirée de son histoire pour Le Père de mes enfants, un très beau film qui confirme en tous points les qualités déjà percues avec son précédent long-métrage. La cinéaste a accepté de nous rencontrer et d’évoquer son travail.

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Laterna Magica : « Le Père de mes enfants » est inspiré par l’histoire du producteur de cinéma Humbert Balsan. Quelle relation aviez-vous avec lui ?

Mia Hansen-Love : Je l’ai connu peu de temps, pendant un an environ. Ca a été une relation très pacifique. C’est quelqu’un à qui je dois beaucoup, sans qui mon premier film ne se serait sans doute jamais fait. Il est mort avant que le film ne soit tourné mais il a été mon premier producteur. Il m’a d’une certaine manière adoptée, comme il l’a fait avec de nombreux cinéastes, et je n’ai eu que les bons côtés du travail avec lui. Comme il produisait énormément de films, comme il prenait de nombreux risques et qu’il n’avait ni le temps ni les moyens de produire tout ce qu’il avait envie de produire, certains projets pouvaient être mis en péril ou connaître des difficultés. Ca pouvait peser sur ses relations avec les cinéastes. Je crois que ca l’affectait beaucoup car il adorait les cinéastes qu’il prodisait. Moi j’ai eu la chance de ne pas connaître ces difficultés là. Il a été un père de cinéma pour moi.

On retrouve cette relation dans le film via ce personnage du jeune réalisateur rencontré dans le bus et qui vient apporter son scénario…

Oui, c’est sans doute l’aspect le plus proche de ce que j’ai vécu. Néanmoins ce personnage, ça pourrait être moi, ça pourrait être d’autres cinéastes. Je crois que ce qu’Humbert Balsan a fait pour moi, il l’a fait pour d’autres. C’était un besoin de s’echapper, d’aller de l’avant, de prendre des risques au moment où tout tire vers l’arrière.

La structure narrative de votre film est très similaire à celle de votre premier film. Est-ce un choix délibéré ?

Oui parce que pour moi les deux films se répondent. Ils sont d’une certaine manière complémentaires. Quand Humbert Balsan est mort, j’ai trouvé qu’à cet instant il y avait un écho dans la vie réelle par rapport à Tout est pardonné et par rapport à des choses qui me préoccupaient depuis toujours. Je pense que c’est aussi pour ça que j’ai eu besoin de faire ce film. C’est une évidence pour moi de l’avoir fait. Mon premier film parlait d’une jeune fille qui perdait son père. Le scénario a beaucoup touché Humbert et ce n’est probablement pas fortuit. Quand il est mort, c’est comme si le réel me renvoyait quelque chose. C’est comme ça que j’ai trouvé dans la vie réelle une réponse à la fiction, comme dans un champ/contre-champs. C’est sans doute pour ça que la construction narrative fait elle-même écho à mon premier film.

La musique semble occuper une place plus discrète dans ce film que dans votre précédent ?

Il y a des choses très différentes, un ou deux morceaux qui sont très proches de l’esprit du premier film, notamment parce qu’ils viennent de la même compilation de chants traditionnels écossais, à la fois complètement singulier, hors du temps, mais aussi insaisissable, avec une forme de mélancolie qui me parle.
Il y a des chansons de styles différents mais chaque fois pour des raisons spécifiques. Chaque chanson a un peu une histoire dans le film. Par exemple, la chanson Johnny Remember me (par John Layton) que l’on entend dans la seconde partie du film lorsque Clémence va à une soirée. C’est une chanson que j’aime beaucoup qui a été oubliée mais qui a été un tube dans les années 60. La chanson raconte l’histoire d’un homme qui n’a aimé qu’une seule femme dans toute sa vie. Il l’a perdue, elle est morte. Il pense qu’il trouvera une autre femme mais le fantôme de son seul vrai amour continuera de le poursuivre. A la fois la musique est entrainante, c’est un tube et en même temps ce qu’elle raconte correspond vraiment au film.
Quant à la chanson du générique de fin, qui pour le coup est la seule chanson connue du film (Que Sera Sera, Doris Day) parfois on me dit, à tord je crois, que cette chanson donne de l’optimisme au film. Pour moi, j’espère, le film n’est ni pessimiste, ni optimiste. J’essaye de faire des films justes, qui soient vrais. J’ai mis cette chanson pour la même raison, parce que pour moi elle a un écho. Il y a quelque chose avec Clémence qui fond en larmes d’être arrachée à son père. Pour moi cette chanson est une réponse. Il y a une forme de sagesse, l’idée d’une transmission de mère en fille. Mettre cette chanson à la fin du film est pour moi une évidence, mais pas velléitaire comme pour dire que le monde est bien tel qu’il est mais parce qu’il y a à la fois un ton et une note mélancolique, et une forme d’humilité et de lucidité par rapport à la vie. C’est plus ça que je retiens de cette chanson.

Le scénario est très écrit mais en même temps ce qui frappe c’est le naturel du jeu des comédiens, comme dans « Tout est pardonné » d’ailleurs. Avez-vous une méthode particulière pour la direction d’acteur ?

C’est vrai que le scénario est très écrit, mais il y a une grande part qui est laissée à l’improvisation, notamment pour les scènes avec les enfants, alors même que l’écriture et la précision des dialogues compte beaucoup pour moi. Malgré tout, même avec les adultes, je suis très à l’écoute de la manière dont ils ressentent le texte. Même si j’essaye d’aller assez loin au moment de l’écriture du scénario, c’est suceptible d’être remis en question pendant le tournage.
Quant au jeu des acteurs. C’est un peu different selon que se soit les adultes ou les enfants. Le point commun c’est que je fais énormément de prises. Ce n’est pas que les premières ne soient pas bonnes mais j’avais la conviction que plus loin j’irais, mieux ce serait. Par exemple, les scènes dans les bureaux, il fallait que ce soit très précis, rigoureux et parfaitenent fluide. Et donc je faisais énormément de prises, pour que les mouvements de caméra ne se sentent pas.

Ce sont des scènes très compliquées, il y a beaucoup de monde, des interactions…

Oui c’était assez compliqué pour moi et c’était la chose qui m’excitait. Il y avait une sorte de challenge. Dans mon premier film, dans l’ensemble les scènes étaient beaucoup plus simples. J’y ai pensé en l’écrivant mais je voulais apprendre, progresser en temps que cinéaste. Ca m’intéressait vraiment d’apprendre à filmer avec beaucoup de personnages et très peu en mouvement. Ce n’était pas le cas dans mon premier film alors que là, le mouvement, la vitesse, c’est au coeur même du récit. C’est une des raisons pour laquelle il y avait beaucoup de prises, jusqu’à 25 parfois, et j’ai eu de la chance car j’avais la confiance des prooducteurs qui m’ont laissés les mains libres. Le grand luxe de ce film, ca a été la pellicule. La plupart des cinéastes tournent en cinq, six prises. A un moment donné ca pouvait être un problème évidemment mais ce choix a été respecté par les producteurs, et ça a été un énorme gain pour le film.
Pour les enfants, j’ai la conviction que l’on peut obtenir quelque chose de bien que si l’on dispose d’énormément de temps et que l’on multiplie les prises, qu’ils oublient la caméra. Avec les enfants, en tout cas pour moi, ca se passe comme ça. J’ai l’impression que dans les première prises il s’agit de trouver le fil qui est en eux, le fil de leur propre imagination, de leur personnalité, et une fois qu’on l’a trouvé, on peut tirer, tirer, et on se rend compte que ça peut durer à l’infini. C’est quelque chose de stupéfiant et fascinant dans le travail avec les enfants. Et c’est vrai que parfois j’avais du mal à m’arrêter. Ce que je faisais, c’est plutôt que de tourner plusieurs prises, je tournais en une seule qui durait toute la bobine (12 minutes) et ou je refaisais la même scène cinq fois de suite. C’est très efficace et c’est très utile pour le son, que l’on peut réutiliser pour le hors champs. Ca donne de la vie.

Le titre est à double sens. Grégoire est un père de famille mais aussi le père de nombreux films. De cette manière, il mène une double vie. Et d’ailleurs, le nom de sa société dissimule un  secret d’une autre vie. Ce lien là est-il conscient de votre part ?

Ce qui est important, ce n’est pas forcément l’idée d’une dualité, mais plutôt l’idée du secret, de quelqu’un qui au fond nous échappe et qui garde tout pour lui, dont la vie est divisée en plusieurs aspects qui se répondent entre eux. Après, évidemment, le titre est ambigu, c’est la famille en même temps que le cinéma. Et on retrouve effectivement cette ambiguïté à travers ce jeu de mots idiots mais que moi j’aime bien, le fils qui s’appelle Moune, comme la société de production (NDLR : Moon Films). Mais dans mon idée, quand j’ai écris le scénario, il ne l’a pas fait exprès, c’est comme un lapsus. Pour moi, il n’a pas voulu appeler sa société comme son fils, il ne s’en est pas rendu compte…

D’autant que l’on sent qu’il est toujours guidé par l’impulsion, qu’il n’agit jamais vraiment par raison, bien qu’il y ait une part de raison bien sûr. Mais il est avant tout un passioné…

Oui, exactement. Il est dans la vitesse, dans l’action. Ce n’est pas quelqu’un qui a un regard rétrospectif sur ce qu’il fait, qui s’analyse…

Dans une scène, il dit « je l’avais oublié celui-là », en parlant du comptable. On a l’impression qu’il est vraiment dans la rêverie.

Il y a un peu de ça. C’est ce qui m’intéressait d’ailleurs même si c’est difficile à saisir. C’est à la fois quelqu’un qui est forcément dans le concret, car on est obligé d’être pragmatique lorsque l’on est producteur, et en même temps, c’est quelqu’un qui rêve, il y a une forme de mélancolie. Ce n’est pas mis en avant dans le film mais c’est important, cette contradiction entre son métier, même s’il a une passion pour ça et le côté joueur avec les questions d’argent, et sa foi dans l’art. Il rêve dans le sens ou il a un besoin de cinéma, d’art.

A travers la société Moon Films, on a le sentiment d’un modèle de production dans le cinéma français qui est presque désuet, ou en tout cas qui peine à résister. C’est d’ailleurs ce qui est présenté dans le film. Est-ce un modèle qui est menacé aujourd’hui ?

Je pense qu’il faut faire attention à ne pas trop généraliser parce que, d’un côté, j’espère avoir fait un film très précis, presque documentaire, sur certains types de productions, une manière de travailler, un esprit français dans ce que ça a de meilleurs etc. Je pense donc qu’il est normal que beaucoup de gens se reconnaissent dedans, dans l’aspect fragile. En même temps, Moon Films, c’est Ognon Pictures (NDLR : la société que dirigeait Humbert Balsan), une société atypique. Il y a des choses que l’on retrouve, un certain fonctionnement, une certaine énergie, une manière d’être débordé. La grande majorité des sociétés de productions en France, même les plus fragiles, sont organisées de manière plus carrée. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de sociétés de production qui tiennent aussi longtemps sur un fil. Généralement, ça bascule d’un côté ou de l’autre. Là, Moon Films est sur un fil tout le temps. C’est ce qui excite Grégoire, l’amuse peut-être. C’est en tout cas quelque chose d’atypique.

Il y a une chose qui est assez amusante, c’est de retrouver les vrais films qui se cachent derrière vos fausses affiches.

Oui c’était très amusant à faire. Ca a presque commencé dès l’écriture du scénario parce qu’il me fallait trouver des noms de cinéastes, des titres de films. C’était amusant parce qu’il fallait que ce ne soit pas trop signifiant mais quand même un petit peu. Je ne voulais pas des références directes, c’était assez compliqué du coup. On a travaillé avec l’accessoiriste du film, qui est quelqu’un de très talentueux, qui a fait certaines photos des affiches, qui a participé aux graphismes.
Les plus marquantes, il y a celle qui s’appelle Tristan et Isold, qui est un peu inspiré des Amours d’Astrée et Céladon d’Eric Rohmer. On a demandé beaucoup d’autorisations pour utiliser des photos de comédiens, ou alors trouver des images libres de droit. Ca a permit de faire une affiche très amusante avec Isabelle Huppert et qui s’appelle L’Affaire des poisons.

Le faux cinéaste suédois qui travaille avec Grégoire est il inspiré de Bela Tarr ? On parle de ce projet comme ‘du film de trop’, et on a l’impression que « L’Homme de Londres » a été le projet de trop pour Humbert Balsan.

Je ne connais absolument pas Bela Tarr. C’est un cinéaste que j’admire énormément mais je ne connais pas sa personnalité, je ne sais pas à quoi il ressemble, je ne l’ai jamais vu ni même croisé. Il n’a inspiré le personnage que symboliquement, par rapport à ce que j’ai pu entendre dire de Bela Tarr, ce qu’il a signifié aux yeux des gens à la mort d’Humbert, et c’est vrai que c’est à lui que j’ai pensé.
Il y a une chose que j’ai trouvé très belle de la part de la femme d’Humbert Balsan après la mort de son mari, , le fait qu’elle se soit montré solidaire de Bela Tarr alors que plus personne ne voulait de son  film et que les gens semblaient lui reprocher d’être responsable de la dépression d’Humbert Balsan. Je crois qu’en effet ce film comptait énormément pour lui, mais bon il était libre, il l’a choisi ce film, il n’était pas un esclave non plus. En tout cas, c’est ce que j’ai trouvé très beau et très courageux de la part de sa femme, de ne pas tomber dans cette logique de bouc-émissaire mais au contraire de continuer d’accompagner ce film par solidarité et pour la mémoire d’Humbert.

Propos recueillis par Benoît Thevenin à Paris, le 9 décembre 2009

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Aucun commentaire sur “[Le Père de mes enfants] Interview avec la réalisatrice Mia Hansen-Love”

  1. Axel dit :

    Je vais avoir une bonne journée d’anniversaire ce 16 décembre avec la sortie de 3 films que j’attends avec impatience avec, par ordre d’importance : Max et les Maximonstres, Le Père de nos enfants et Avatar.
    Bonne initiative que de mettre cette interview et la critique du film de Mia Hansen Love en tête de ton blog.
    Parce qu’Avatar, franchement, je crois qu’on est au courant qu’il sort cette semaine !!!

  2. L'Orangie dit :

    J’ignore si vous avez vu les Harmonies de Werckmeister de Bela Tarr, mais c’est un film éblouissant.
    N’a-t-on pas de nouvelles de Bela Tarr et de son projet, « Le cheval de Turin » ? Dont je ne connais rien mais qui j’imagine doit être en relation avec Nietzsche…

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