Lundi dans un bar parisien, Karim Dridi accepte de me recevoir pour parler de son nouveau film, Le Dernier vol, sorti dans les salles le 16 décembre. Le cinéaste est semble t’il ravi des premiers résultats au box office mais aussi très remonté contre une partie de la critique à qui il reproche de n’avoir pas compris son travail et le peu de mesure dans certains commentaires acerbes…
Laterna Magica : « Le Dernier vol » était sans doute attendu comme un grand film romanesque et populaire. N’y a t’il pas un malentendu à ce propos ?
Je pense qu’il y a un quiproquo sur le film. En vérité c’est un film d’auteur très exigeant. C’est peut-être mon film le plus pointu. Si on enlève Marion Cotillard et Guillaume Canet et qu’on les remplace par des acteurs inconnus, ca fait 50 000 entrées. C’est comme quand Gus van Sant tourne Gerry avec Matt Damon… Et pourtant là le public semble savoir ce qu’il va voir… Gerry est je crois autrement plus radical et aride que ne l’est Le Dernier vol…
Mais vous prenez le contre pied de cette attente d’une histoire d’amour entre Marion Cotillard (Marie dans le film) et Guillaume Canet (Antoine)…
C’est vrai que le film peut être frustrant en terme de narration. C’est assez linéaire et assez simple. Il n’y a pas cinquante mille rebondissements, il y a pas les empêchements. En terme de dramaturgie, c’est l’inverse de l’adaptation du Patient Anglais, ou il y a une condensation de structures narratives, un rebondissement toutes les cinq minutes, un rythme élevé. Mon film, il est un peu comme de la musique arabe non figurative. Il a un rythme intérieur qui est très musical. Ca peut frustrer les gens qui ont un besoin de narration.
Est-ce que le casting vous a été imposé pour l’intérêt commercial du film ?
Non, c’est moi qui ai proposé à Marion de faire ce film et après Guillaume s’est greffé dessus. Après, c’est vrai que ce casting me permet de toucher un public beaucoup plus large que si j’avais choisit des inconnus… Non, même pas…. Je n’aurais pas pu faire le film sans ces deux stars là…
Le désert est un territoire rare au cinéma, et plutôt le théâtre de grandes fresques, de grandes aventures. « Le Dernier vol », c’est tout le contraire, un film avant tout intimiste…
Oui en effet, deux personnes seules dans le désert pendant quarante minutes, c’est plutôt intime… Mon envie avec ce film c’était d’aller au plus proche des émotions et des sentiments que j’ai eu en allant plusieurs fois dans le désert. On ressent la fragilité de ce que l’on représente face à l’immensité et en même temps on est attiré par la beauté de cette immensité. C’est ça que j’avais envie de faire passer. On a peur du désert parce qu’on y meurt de soif, et en même temps on est envoûté. Dans le désert, si on reste sur place on est mort, il faut avancer. C’est dur, on est victime d’hallucinations, on entend des sons, notamment le chant des dunes qui est bien réel, que des personnes ont réussit à enregistrer… Et mon idée c’était ça de donner cette impression sensitive là.
D’ou aussi ce réalisme que l’on ressent, le vent, le sable qui colle à la sueur sur la peau…
Ce qui est drôle c’est que l’on m’a reproché que les personnages ne se salissent pas. Mais on ne se salit pas dans le désert, parce que c’est très sec. On se salit à Paris parce qu’il y a la pollution et l’humidité, mais pas dans le désert. Encore une fois, ce qui m’intéressait c’était d’être au plus proche de l’expérience de marcher dans le désert.
On peut regarder « Le Dernier vol » en refusant de voir le sentiment amoureux naître entre eux. Il y a un rapprochement qui est inévitable parce qu’ils vivent le même enfer. Au cinéma on a l’habitude que les personnages finissent par s’aimer mais ce n’est pas de cela dont il est question ici. Leur rencontre n’est pas nécessairement amoureuse…
Exactement, et c’est bien pour ça qu’il ne s’agit pas d’un film romantique
Dans le livre de Sylvain Estibal, c’est Antoine qui sauve Marie. Dans le film, les rôles s’inversent à ce moment là. Pour quelle raison avez-vous changé cette scène ?
Je trouve que les femmes sont plus fortes et plus courageuses. Ca va bien avec le personnage de Marie aussi. Et comme je voulais un rôle pour Marion Cotillard, et que je trouve qu’elle a ce type de caractère, je la trouvait plus crédible dans ce rôle là, en héroïne, que Guillaume Canet ou les autres acteurs français que j’aurait pu avoir. Moi je trouve que les actrices françaises sont beaucoup plus couillus que les mecs. Il est peut-être mieux de donner un rôle fort à une femme, puisqu’elle peut le tenir.
Le film parle également du colonialisme à travers l’opposition entre Antoine et son capitaine…
Ils s’opposent sur leurs façons de voir la colonisation. Le Capitaine (Guillaume Marquet) est là pour amener la civilisation. Il dit « moi je suis contre la barbarie et les touaregs sont des barbares puisqu’ils ont des esclaves ». A l’époque c’était ça l’idée. Les Français étaient contre l’esclavage et étaient là pour apporter la civilisation, sauf que sous couvert de civilisation, ils s’emparaient des territoires. C’est ça la réalité de la colonisation. C’est mon point de vue mais ce n’est pas le point de vue de tout le monde, à commencer par notre président de la République. Pour lui, il faut arrêter de se sentir coupable, on a aussi fait des bonnes choses en Afrique, on a construit des hôpitaux etc. Tout ça, pour moi c’est du pipeau. Mais pour revenir à mon film, il y a deux idéologies qui s’opposent, celle coloniale du capitaine, et celle progressiste d’Antoine qui dit en clair que la France n’a rien à faire là.
Vous montrez le peuple touareg d’une façon différente…
Quand on les voit dans Un Thé au Sahara de Bertolucci, on est dans la fascination romantique du touareg, c’est l’image sexuelle du touareg. Quand on les vois dans Fort Saganne d’Alain Corneau – il s’agit de Maures, pas de touaregs, mais ca revient au même – ils sont au service de la France et c’est la grandeur coloniale, il n’y a pas de remise en question à ce sujet. C’est quand même un point hyper important, ne serait-ce qu’entendre la langue tamachek. C’est pas de l’arabe, c’est du tamachek, une culture particulière. La France a beaucoup utilisé ces gens pour sa pénétration dans le Sahara. Il y a toute une Histoire. L’idée c’était aussi de faire toute une première partie de film qui serait comme un western saharien. Je me suis inspiré de la La Prisonnière du désert de John Ford par exemple.
Il y a une véritable unité visuelle entre vos deux derniers films, « Khamsa » et « Le Dernier vol »…
Déjà, ce sont deux films en scope. C’est le sujet qui impose le format. Là c’est le scope parce que filmer le désert, a priori c’est en scope. Dans Khamsa, le choix du Scope il est plus politique qu’esthétique. Tu fais un film sur les petits gitans, les petits arabes, tu fais un film pauvre, tu vas tourner en DV ou en 16mm granuleux… Au secours ! Non, il faut prendre le format le plus cher du cinéma, le plus noble, pour filmer ces gens là. Pour Le Dernier vol, le choix il est purement esthétique.
Comment s’est déroulé le tournage dans le désert ?
Ca a été un tournage rapide de huit semaines. Bien sûr c’est compliqué, on prend du sable dans la gueule toute la journée, mais pas plus que ça… C’était pas un tournage si difficile que ça. Ca ne fait pas glamour, j’aimerais bien dire que ca a été l’enfer mais non, la réalité c’est que ça n’a pas été si difficile. Après oui, c’est plus compliqué que de tourner à Paris, à cause de la météo, du vent et du sable. Mais un tournage difficile, non c’est vraiment autre chose encore. On avait des contraintes différentes. Pour éclairer par exemple, il y a tellement de luminosité, qu’il y a des heures spécifiques pour tourner…
Il y a les problèmes d’ordre humain. Comment tourner avec des touaregs ? Comment faire accepter à Gaumont de faire venir des vraies touaregs du Mali alors qu’on peut prendre des figurants marocains et leur mettre un turban ? Comment expliquer à Gaumont qu’il va falloir que Guillaume Canet apprenne le tamachek ? Heureusement, Guillaume a été tout de suite partant là dessus.
Comment s’est fait le choix de la musique du film ?
Le Trio Joubran, j’avais entendu leur disque et j’avais envie d’une musique qui ne soit pas arabisante comme celle de Gabriel Yared dans Le Patient Anglais, mais qui soit vraiment arabe. Il ne fallait pas qu’elle soit que arabe, à cause de l’histoire, il fallait aussi qu’il y ait un côté occidental. Ca donne une musique qui est proche de moi, à la foi occidentale et orientale. Il y a vraiment une fusion des deux. J’ai donc utilisé deux trios, celui des frères Joubran et celui des Chkrrr, qui sont des gens qui viennent de la musique classique et qui sont hyper ouvert sur d’autres genres musicaux. Cette musique elle s’est faite en un mois, avec eux et moi en studio autour des images. Ca a été improvisé selon la même technique que Miles Davis sur le film de Louis Malle, Ascenseur pour l’échafaud… Sauf que c’est pas Miles Davis qui a fait ça en une nuit. Tout le monde n’est pas Miles Davis non plus. C’était une autre complexité aussi et ca a duré un mois.
Travaillez-vous déjà sur un nouveau projet ?
Je travail sur plusieurs scénarii, mais là il y en a un qui me plait beaucoup. C’est l’adaptation d’une pièce de théâtre de Koltès, Combat de nègre et de chiens. C’est l’un des auteurs français les plus joués dans le monde. Pour moi, il est un auteur très subversif. C’est Patrice Chéreau qui a monté toutes ses pièces de son vivant et c’est Chéreau qui le premier a monté Combat de nègre et de chiens. J’ai envie de tourner ça en Afrique Equatoriale, dans la forêt primaire. Ca va être très compliqué. C’est beaucoup plus dur et dangereux, pour pleins de raisons, que de tourner au Maroc.
J’ai aussi un projet que j’écris pour Simon Abkarian, qui est pour moi un des plus grands acteurs français. Il jouerait un magicien au bout du rouleau qui devient pickpocket et qui découvre qu’il a une fille. Ils ont en commun la scène. Lui est prestidigitateur de cabaret. Elle est artiste de cirque.
On arrive à la fin de l’année. Quels sont vos films préférés de 2009 ?
J’ai vu Stella il y a quelques temps et j’adore. Les Beaux gosses aussi.
Propos recueillis par Benoît Thevenin à Paris, le 21 décembre 2009