Un film des frères Coen suscite toujours une attente disproportionnée. Il est absolument clair, cette fois, que la cuvée 2003 reste en deçà des sommets atteints par les deux frangins jusque alors. Cela dit, il est tout aussi évident que ce film possède un charme propre que peu de comédies romantiques peuvent revendiquer. Parler de comédie romantique pour Intolérable Cruauté est relativement erroné mais se justifie. Il s’agit surtout là d’une satire féroce de ce genre très stéréotypé. Surtout, les Coen réalisent un hommage plutôt magistral à la Screwball comedy chère à Howard Hawks, genre typiquement Hollywoodien dans les années 40 et qui repose pour beaucoup sur le principe de la bataille des sexes. Et c’est sur ce principe, et parce que tous les coups sont permis, que les cinéastes tirent toute la substance comique de ce film.
Ce genre de comédies fait sens dans un contexte faussement grave, ou la société est riche et ces problèmes insignifiants. Ici, Beverly Hills, bien sûr. Les femmes, chef d’œuvres de la chirurgie plastique, apprivoisent de riches idiots du monde hollywoodien pour mieux les jeter à la rue à coups de pensions alimentaires. Le film commence donc sur une note faussement dramatique, entre farce et grotesque. Un riche producteur de soap, adorablement crétin, hurle à tue-tête les paroles de The Boxer de Simon et Garfunkel – ‘I’m a poor boy…’ – avant de trouver un amant dans le lit de sa femme. Tous les clichés sont réunis et les Coen s’en amusent et jouent de cynisme en permanence. La femme frappe son mari. Celui-ci n’a d’autres réflexes que de photographier ces blessures ridicules en prévisions du futur procès… Ce procès est bien entendu l’occasion de mettre en lumière le talent du très narcissique Miles Massey (Georges Clooney) à plaider ce genre d’affaires sans scrupules, en extrapolant à sa convenance la réalité des faits.
Lui, le roi du divorce va vite rencontrer la reine des croqueuses d’hommes. Un coup d’œil, un seul et le voilà qui tire la langue. Elle ne cache pas ce qu’elle veut (du fric, son indépendance, son bonheur) et lui trahit vite son attirance pour cette femme étonnante. Toutes leurs confrontations sont l’occasion d’un véritable duel ou le seul enjeu est le couple. Mais lequel ? Celui que Marylin veut briser ou celui que Miles souhaite ‘créer’ ? Tous terrains d’oppositions (citations littéraires lors d’un dîner, tribunal…) est bon à un combat sans merci ou chacun cherche à se montrer plus fort que l’autre. Mais en même temps, c’est bien sûr un jeu de séduction permanent qui saute aux yeux…
L’élément perturbateur surgit assez vite, incarné avec brio, évidemment, par Billy Bob Thornton. Il est le faire-valoir de Marylin, celui qui entrave la possibilité d’union avec Miles, celui qui est l’exact contraire de Miles. Il est un faux rival à l’humour gras, au look ringard. Il n’a rien de commun avec le personnage de George Clooney, il est le ridicule par excellence…
Les frères Coen, incontestablement, connaissent le cinéma américain, son Histoire, par cœur. Ils jouent des codes de la comédie loufoque hollywoodienne comme ils ont par le passé rendu leurs lettres de noblesse au polar (Miller’s crossing, The Barber) à la comédie d’aventure (O’Brother) etc … La scène du congrès des avocats spécialistes en droit matrimonial où George Clooney fait un vibrant plaidoyer POUR l’Amour, résonne en écho à la célèbre scène du grand discours final de James Stewart dans Monsieur Smith au Sénat (Capra, 1939)
Alors certes, Intolérable Cruauté n’est pas le plus grand film des frères Coen mais il est diablement attachant et reste très au-dessus du commun des films romantiques. En s’amusant des clichés de ce types de comédies, les deux frères pondent une comédie irrésistible où se côtoient un duo d’acteurs au sommets de leurs formes.
A noter aussi une conclusion assez bien pensée où les frères égratignent un peu plus la politique impitoyable de la télévision, entre talk-show écoeurant de condescendance et d’hypocrisie et pseudo télé-réalité… Léger mais délicieux.
Benoît Thevenin
Intolérable cruauté – Note pour ce film :