Un an après le pétillant « Madame Henderson présente», Stephen Frears évoque le sujet brûlant et controversé de la relation entre Tony Blair et la Reine d’Angleterre suite au décès accidentel de Lady Diana.
Eté 1997. Tony Blair devient le plus jeune Premier Ministre de l’histoire anglaise. Son attitude et son discours rompent radicalement avec les années Thatcher. Tony Blair apporte un vent de fraîcheur sur la Grande-Bretagne. Quelques semaines après sa prise de fonction, la Princesse Lady Diana décède dans un accident de voiture à Paris. Monarchie et gouvernement s’opposent. Et si Blair avait finalement sauvé la couronne ?
Dans Preak up your tears, réalisé en 1987, Stephen Frears évoquait déjà, de manière subliminale, la Reine Elisabeth II. Dans une chambre, deux homosexuels faisaient l’amour avec dans le décor une télévision retransmettant le couronnement de la Reine. Cette seule séquence n’avait bien sûr rien d’anodine et marquait de manière très nette l’attitude provocatrice du cinéaste.
Frears s’est également déjà intéressé de près à Tony Blair puisqu’il a réalisé en 1997 pour la télé anglaise The Deal. Le film racontait comment Tony Blair mit la main mise sur le parti travailliste grâce notamment à l’alliance conclue avec Gordon Brown. Michael Sheen, très à l’aise dans la peau de Tony Blair, enfilait déjà le costume. Peter Morgan était lui déjà au scénario. En quelque sorte, The Queen est donc la suite de The Deal. Faut-il s’attendre maintenant à ce que Frears raconte son point de vue sur la position de Tony Blair sur l’alliance avec Bush Jr. en Irak ?
En quarante ans de carrière, Stephen Frears s’est construit une filmographie riche et variée et, d’une manière générale, on peut dire qu’il est sans doute l’un des plus fins observateurs de la société britannique. Sa parole n’a rien à voir avec celle d’un Ken Loach mais elle compte indéniablement. Aujourd’hui, Frears se déclare volontiers comme « un fan déçu de Tony Blair ». Aujourd’hui, ce discours cadre d’ailleurs très exactement avec la popularité déclinante du résidant de Downing Street. Reste que The Queen, contrairement à The Deal, sonne parfois comme une sorte d’hommage à l’action de Blair lors de son accès au pouvoir et tend à démontrer l’adresse politique du jeune Premier Ministre. Blair est ainsi perçu comme celui qui arrivera à raisonner une Reine qui, à l’instant de la mort de Diana, se met pour la première fois tout un peuple à dos.
Vingt ans après Preak up your tears, Stephen Frears choisit donc de s’attaquer au sujet très délicat de la mort de Diana et, surtout, des conséquences politiques qui s’en suivirent. Le ton n’a cette fois ci rien d’irrévérencieux, bien au contraire. L’absence de réaction spontanée de la Reine fut largement incomprise par le peuple. Dans The Queen, Frears tente d’en décrypter les raisons. Il ne nous épargne pas la cause profonde (la haine de la Reine pour Diana) mais évoque surtout le mano a mano politique qui se joue alors avec Tony Blair. Le Premier Ministre devient même le véritable héros de cette histoire puisque quelque part, c’est lui qui a sauvé la couronne.
Un bref retour historique est nécessaire. Lorsqu’il arrive à la tête du gouvernement, Tony Blair est le plus jeune Premier Ministre de l’histoire de la Grande-Bretagne. Il jouit d’une popularité particulièrement forte et pour beaucoup parce que son image de modernisateur s’oppose à la fois au conservatisme de la Monarchie – au plus bas dans le cœur des Anglais à ce moment là – et à celui de la politique précédente de Margaret Thatcher. Lors de sa prise de fonction, Tony Blair est, en quelque sorte, en état de grâce.
Dans le même temps, la cote de la Reine d’Angleterre est donc au plus bas. Elizabeth II paye en particulier le conflit ouvert qui l’oppose de longue date à la jeune et jolie Lady Diana. Diana provoque la bienséance du Royaume. Elle est à la fois la mère des héritiers de la Couronne et celle qui s’est coupée de la famille royale par son divorce avec le prince Charles. Mais plus que cela, les frasques de Diana, sa présence omniprésence à la une des tabloïds, choque la Cour. Diana est tout le contraire d’Elizabeth II : jeune, active, populaire face à une Reine fidèle a son attitude discrète et bienveillante. Et en l’occurrence, c’est bien à Diana que le peuple s’identifie. La Princesse de Galles est l’incarnation même de la jeune femme moderne alors que la Reine est critiquée pour l’archaïsme des traditions royales.
De fait, la mort de Diana est ressentie comme un réel traumatisme par le peuple anglais. Le choc dépasse même le cadre insulaire de la Grande-Bretagne. Diana était une icône mondiale. Dans un premier temps, la Reine ne participe pas au recueillement national. Elizabeth II cherche à protéger la famille royale. Officiellement, Diana ne fait plus partie de cette famille et ne peut avoir droit aux honneurs du protocole historique prévu en cas de deuil au sain de la royauté. Un exemple simple mais largement évocateur : le duc d’Edimbourg et la Reine refuse catégoriquement de mettre en berne le drapeau qui flotte sur Buckingham Palace. Cette attitude ébranle le peuple qui ne comprend pas cette absence de compassion manifeste. La haine du Royaume était connue et le fossé se creuse alors entre une Reine de plus en plus détesté et son peuple incrédule. La Reine perd donc le peu de crédibilité qui lui reste encore. Heureusement pour elle, Tony Blair est lui au maximum de sa popularité.
En organisant des obsèques publiques, en communiant avec le peuple, il s’attire toute la sympathie de celui-ci. Pour Blair, le plus gros combat est celui qu’il doit mener face à la Reine. Comment la convaincre de céder au poids des traditions et des rancoeurs passées ? C’est tout ce que le film s’ingénie à démontrer. Blair négocie au mieux le virage qu’il doit emprunter, et manœuvre aussi habilement que possible pour raisonner la Reine. Au final, la Reine Elizabeth II se rend aux obsèques de Lady Diana, prononce un discours et réhabilite son image auprès des anglais. L’honneur est sauf, les apparences sont préservées. Personne, sans doute, n’est dupe mais, une chose est certaine, la Reine a sûrement sauvé là sa couronne.
Benoît Thevenin