Décès du cinéaste français Eric Rohmer (1920 – 2010)

Personnage discret du cinéma français, mais figure incontournable, auteur majeur et emblématique, le cinéaste Eric Rohmer s’est éteint aujourd’hui 11 janvier 2010, à l’âge de 89 ans.

Eric Rohmer est l’auteur de quelques uns des plus grands films du patrimoine français. Ma Nuit chez Maud, chef d’oeuvre romantique réalisé en 1969 ; Les Nuits de la pleine Lune en 84 ou encore Les Amours d’Astrée et Céladon, un des plus beaux films de ces dernières années figurent en tête de gondole d’une filmographie riche, singulière et passionnante.

Ma Nuit chez Maud (69)

A l’heure de son décès, le mystère plane encore sur son acte de naissance. On n’a jamais vraiment su où l’histoire d’Eric Rohmer commença, à Tulle en Corrèze ou à Nancy en Meurthe-et-moselle. Il est probable qu’il naquit plutôt à Nancy, ce que les cinéphiles nancéens (dont je fais partie) croient fermement. Dans son film Il y a longtemps que je t’aime (2008), l’écrivain et cinéaste nancéen Philippe Claudel rendait d’ailleurs hommage au cinéaste, dans une scène de dîner.

Peu importe de toutes les manières où l’homme naquit. Eric Rohmer est vraiment né à Paris, dès lors qu’il choisit d’utiliser ce pseudonyme, lui qui arriva d’abord au monde sous le nom de Schérer (Maurice ou Jean, là encore tout le monde n’est pas d’accord). Toute sa vie, Eric Rohmer aura cultivé la discrétion et ce mystère sur ces origines. Il publia un roman, La Maison d’Elizabeth (46), sous le pseudonyme de Gilbert Cordier.

Durant sa jeunesse, il fréquente les cercles cinéphiles parisiens, collabore à diverses revues et rencontre des personnalités comme Jean-Luc Godard, François Truffaut, Claude Chabrol ou Jacques Rivette. Tous ensemble, ils rejoignent l’équipe des Cahiers du cinéma. Rohmer publie notamment un texte sur le film de Robert Bresson Un Condamné à mort s’est échappé (56), dans lequel il vante par exemple la musicalité du style de cet auteur dont Rohmer s’avèrera bientôt le principal héritier.

Le Signe du Lion (59)

En 1957, Eric Rohmer est promu rédacteur en chef des Cahiers, succédant à André Bazin qui allait décéder bientôt, en 58. Rohmer restera dans ses fonctions, jusqu’en 1963, mais durant cette période, il travaille déjà sur quelques films. Il écrit le scénario du court-métrage Tous les garçons s’appellent Patrick (aka Charlotte et Veronique), que réalise Jean-Luc Godard en 1957 et met en scène son premier long-métrage de cinéaste, Le Signe du Lion en 59.

Eric Rohmer est le premier a véritablement avoir impulsé La Nouvelle Vague. Avant son passage au format long, il est l’auteur d’une dizaine de courts-métrages, dont Charlotte et son steak en 51. Pourtant, il est le dernier à se révéler. Alors que Truffaut et Godard triomphent avec leurs premiers films respectifs, Eric Rohmer peine à trouver un distributeur pour le sien. Le Signe du lion ne sortira dans les salles qu’en 1962, et dans une complète indifférence.

Conte d’été (96)

Cet échec n’empêche pas Rohmer de persévérer. Rohmer va construire sa filmographie par séquences. La première série est celle des Conte Moraux, inaugurée par le court-métrage La Boulangère de Monceau (62) et dont La Carrière de Suzanne est le second volet (63). Un schéma récurrent commence à émerger dans ses films : un homme aime une femme, flirte avec une autre qu’il vient de rencontrer, puis se résigne et revient vers la première. Rohmer opte pour une narration en voix off, celle du héros qui commente ses états d’âme à coups de citations littéraires (Rohmer a été professeur et a toujours été avant toute chose un homme de lettres).

Le Genou de Claire  (70)

Rohmer sort ses films dans le désordre. Il tourne en 1967 La Collectionneuse mais celui-ci débarquera dans les salles après Ma Nuit chez Maud (69), le troisième des Conte moraux, son premier vrai succès et peut-être le plus beau de tous ses films. Avec La Collectionneuse et Le Genoux de Claire (70), Rohmer décline son style équivoque, à la fois moderne et traditionnel, et toujours empreint d’un certain érotisme fétichiste, en particulier avec ces deux films là.

Après les Contes moraux, et deux autres films indépendants de toutes séries – La Marquise d’O (76) et  Perceval le Gallois (78) – Rohmer entame un nouveau cycle, dit Comédies et proverbes, avec une série de films par lesquels il adapte et détourne quelques proverbes ou citations de grands auteurs classiques comme Musset (La Femme de l’aviateur, 81) ou Jean de La Fontaine (Le Beau Mariage, 82). Le fleuron des Comédies et proverbes est sans nul doute Les Nuits de la pleine lune (84), adapté d’un faux proverbe champenois de son invention, et dans lequel il inscrit de nouveau la dérive d’un couple mais dans le cadre d’un paysage urbain en pleine mutation.

Les Nuits de la pleine lune (1984)


Le Rayon vert, cinquième volet de la série, est couronné par le Lion d’Or au festival de Venise en 1986. Le film, largement improvisé lors du tournage, avec des acteurs amateurs et sans scénario, reprend le canevas de Ma nuit chez Maud mais sur un ton cette fois plus modeste et ludique que littéraire.

Dans les années 90, Rohmer entreprend un nouveau cycle, de quatre films cette fois. Les Contes des quatre saisons permettent au cinéaste de continuer d’explorer la question amoureuse d’un point de vue philosophique. Encore une fois, Rohmer tourne les films dans le désordre (Conte de Printemps (90), d’Hiver (92), d’Eté (96)). La série s’achève avec Conte d’automne en 1998, avec Marie Rivière, actrice fétiche du cinéaste qui l’a dirigé plusieurs fois à partir de Perceval le Gallois (78) et par exemple dans le Rayon Vert (86)

Les Amours d’Astrée et Céladon (2007)

Outre Marie Rivière, Eric Rohmer aura révélé d’autres jeunes acteurs, notamment Pascal Greggory et Fabrice Luchini que l’on retrouve chacun au casting de L’Arbre, le maire et la médiathèque (93), un des films les plus séduisants du cinéaste.

Dans les années 2000, Rohmer s’essaye au numérique avec L’Anglaise et le duc (2001), marquant la curieuse rencontre entre un cinéaste réputé pour sa rigueur très traditionnelle et une technologie qui ne semble pas correspondre à son style lyrique si particulier. Le mariage opère cependant. En 2004 sort Triple Agent, agréable fantaisie d’espionnage puis en 2007, Les Amours d’Astrée et Céladon, chef d’oeuvre enchanteur, libre, sensuel et magnifique qui consacre davantage un auteur certes singulier et pas forcément évident à appréhender, mais toujours au sommet de son art.

Astrée et Céladon (07), avec notamment Jocelyn Quivrin dans un rôle secondaire, restera comme le dernier long-métrage d’Eric Rohmer. Il nous lègue une oeuvre colossale, une pensée passionnante et quelques films sublimes et inoubliables.

Benoît Thevenin

Filmographie intégrale d’Eric Rohmer :

1950 : Journal d’un scélérat (c.m)
1951 : Présentation ou Charlotte et son steak (c.m) voir le film
1952 : Les Petites Filles modèles (c.m)
1954 : Bérénice(c.m)
1956 : La Sonate à Kreutzer (c.m)
1958 : Véronique et son cancre (c.m) voir le film
1959 : Le Signe du lion
1962 : La Boulangère de Monceau (Contes moraux#1) (c.m) voir le film
1963 ; La Carrière de Suzanne (Contes moraux#2)
1964 : Nadja à Paris (c.m)
1964 : Les Métamorphoses du paysage, l’ère industrielle (Doc)
1965 : Paris vu par… (sketch Place de l’Étoile) (c.m) voir le film
1966 : Une étudiante d’aujourd’hui (c.m) voir le film
1967 : Fermière à Montfaucon (c.m)
1967 : La Collectionneuse (Contes moraux#4)
1969 : Ma nuit chez Maud (Contes moraux#3)
1970 : Le Genou de Claire (Contes moraux#5)
1972 : L’Amour l’après-midi (Contes moraux#6)
1975 : Villes nouvelles (doc)
1976 : La Marquise d’O…
1978 : Perceval le Gallois
1979 : Catherine de Heilbronn (TV)
1981 : La Femme de l’aviateur (Comédies et proverbes#1)
1982 : Le Beau Mariage (Comédies et proverbes#2)
1982 : Pauline à la plage (Comédies et proverbes#3)
1983 : Loup, y es-tu ? (c.m)
1984 : Les Nuits de la pleine lune (Comédies et proverbes#4)
1986 : Le Rayon vert (Comédies et proverbes#5)
1987 : L’Ami de mon amie (Comédies et proverbes#6)
1987 : 4 aventures de Reinette et Mirabelle
1989 : Les Jeux de société (TV)
1990 : Conte de printemps (Contes des quatre saisons#1)
1992 : Conte d’hiver (Contes des quatre saisons#2)
1993 : L’Arbre, le maire et la médiathèque
1995 : Les Rendez-vous de Paris
1996 : Conte d’été (Contes des quatre saisons#2)
1998 : Conte d’automne (Contes des quatre saisons#4)
1999 : La Cambrure (c.m)
2001 : L’Anglaise et le Duc
2004 : Triple agent
2007 : Les Amours d’Astrée et de Céladon

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9 commentaires sur “Décès du cinéaste français Eric Rohmer (1920 – 2010)”

  1. Mes préférés L’amour l’après-midi, Pauline à la plage, le conte d’hiver, les aventures de reinette et de mirabelle. Pour l’instant mon hommage est en anglais!

  2. Foxart dit :

    Voila un cinéaste dont j’ai vu tous les films à l’exception des deux derniers et des court-métrages.
    Un immense conteur, un grand cinéaste, j’adorais chacun de ses films et j’ai suivi sa carrière fidèlement depuis l’adolescence.

    Mon palmarès perso… Le rayon vert, Les nuits de la pleine lune, L’anglaise et le duc, La collectionneuse, La marquise d’O, Conte d’hiver, L’arbre, le maire et la médiathèque… mais je m’aperçois en faisant cette petite liste que j’ai envie de les citer tous ou presque…
    Une belle et longue carrière et une grande œuvre à découvrir et redécouvrir…
    ça tombe bien, je m’étais acheté les 4 coffrets (quasi l’intégrale) il y a deux mois… pas cher, rue Daguerre à Paris.
    Et je suis cloué au lit par une hernie discale depuis plus d’un mois et pour quelques temps encore, sans doute… je passe donc ma journée à mater des DVD…
    Que ça à foutre de me faire une petit festival Rohmer !
    Les cinéastes meurent mais leur œuvre demeure immortelle !
    Qu’il repose en paix et que ses films continuent de nous enchanter et de respirer l’intelligence, la fantaisie, l’émotion, la drôlerie et tant d’autres choses…

    http://www.amazon.fr/Coffret-Eric-Rohmer-DVD-printemps/dp/B000934BSA/ref=sr_1_1?ie=UTF8&s=dvd&qid=1263254965&sr=8-1

    http://www.amazon.fr/Coffret-rohmer-proverbes-Eric-Rohmer/dp/B000VZN7W2/ref=sr_1_2?ie=UTF8&s=dvd&qid=1263254965&sr=8-2

    http://www.amazon.fr/Coffret-rohmer-lancien-Eric-Rohmer/dp/B000VZN7WC/ref=sr_1_3?ie=UTF8&s=dvd&qid=1263254965&sr=8-3

    http://www.amazon.fr/Eric-Rohmer-Boulang%C3%A8re-Collectionneuse-lapr%C3%A8s-midi/dp/B00008SLUG/ref=sr_1_4?ie=UTF8&s=dvd&qid=1263254965&sr=8-4

    Ils étaient autour de 12 euros pièce dans la boutique vidéo de la rue Daguerre, en haut de la rue, à l’opposé de chez Varda et Ciné-Tamaris…
    Si vous habitez dans le coin, ils n’ont peut-être pas encore été dévalisés…

  3. Benoît Thevenin dit :

    Merci pour tes bons conseils! Je vais tenter d’aller Rue Daguerre dès demain si je peux.

    Soigne bien ton hernie, bon courage pour ca :s. Et il faut absolument que tu vois Les Amours d’Astrée et Céladon, je ne doute pas que tu adoreras. Je ne les ai pas encore tous vu les films de Rohmer, mais ce dernier m’est particulièrement cher.

    Mon Top perso :

    1. Ma Nuit chez Maud
    2. Les Amours d’Astrée et Céladon
    3. Les Nuits de la pleine lune
    4. L’Arbre, le maire et la médiathèque
    5. le Genoux de Claire
    6. la Collectionneuse
    7. Pauline à la plage
    8/ Le Rayon vert

    Et je m’arrête là aussi, sinon je vais également tous les citer lol.

  4. Foxart dit :

    Triple agent et Les amours d’Astrée et de céladon sont commandés chez Amazon… je devrais les recevoir dans quelques jours…
    Ma nuit chez maud est un de ses films auquels j’ai le moins accroché, comme Conte d’été, d’ailleurs…
    Mais j’ai adoré les autres contes des 4 saisons, notamment Printemp et hiver.
    J’ai aussi gardé un grand souvenir du Signe du lion qui m’avait marqué à l’adolescence, pour le reste de ta liste: j’adhère !!!

  5. costume dit :

    Eric Rohmer, un grand du cinéma……. j’ai quasiment regardé tous ces film !… MA NUIT CHEZ MAUD, tournée à Clermont-Ferrand, un chef d’oeuvre, le genou de Claire, les contes moraux, les débuts, de Dombasle, Luchini et bien d’autres encore,…son ROMAN écrit sous les balles, qui se situe rue Soufflot à Paris, « la maison d’Elisabeth », et bien d’autres oeuvres talentueuses….M. Rohmer je vous souhaite une nouvelle vie celeste bien active ………..

  6. Thierry dit :

    Juste quelques précisions:
    – la 4ème photo me semble issue de « Conte d’été » et non pas de « la Collectionneuse ».
    – J’avoue que je ne vois pas trop en quoi « Le Rayon vert » serait un remake de » Ma nuit chez Maud ». Je le rapprocherais davantage du « Signe du Lion », déréliction du personnage principal en plein été et grande improvisation.
    Pour choisir sa liste des meilleurs Rohmer, il y en a environ 2 par série:
    – Ma nuit chez Maud et le Genou de Claire
    – Pauline à la plage, la Femme de l’aviateur (l’un des plus méconnus) et Les Nuits de la pleine lune
    – Conte d’hiver et Conte d’été
    Mention spéciale à la Boulangère de Monceau qui n’est qu’un court métrage mais contient peut-être toute l’oeuvre en une dizaine de minutes. Le Signe du lion est aussi souvent oublié, son premier film, une belle quête antonionienne ou wendersienne presque dépourvue de dialogues, ce qui relève de la performance chez Rohmer et prouve que son cinéma aurait pu emprunter une autre voie.

  7. Benoît Thevenin dit :

    -autant pour moi, j’avais pas fait attention :-s. C’est pourtant tellement évident
    – le signe du lion, je ne l’ai encore jamais vu. La femme de l’aviateur non plus d’ailleurs

  8. Foxart dit :

    Pour info : Télérama regroupe les quatre coffrets de la quasi-intégrale Rohmer dans un seul coffret hommage vendu au prix vraiment exceptionnel de 59 euros !!!
    Ne manque (sauf erreur de ma part…) à la filmographie fleuve du maitre que les 3 derniers opus: Astrée & céladon Triple agent et L’anglaise et le duc.

    Il y a donc moyen de se faire désormais l’intégrale de Rohmer à un prix vraiment imbattable…

    En vente par courrier en VPC ou sur le site http://boutique.telerama.fr/

  9. Marie Binet dit :

    A voir : Les Contes secrets ou les Rohmériens

    Des personnages surgissent des films d’Eric Rohmer pour dévoiler leur raison d’être, leur destin, leur histoire, expliquer les motifs de leurs actes face aux jeux et aux enjeux de la séduction et de l’amour, de la morale et des épreuves de l’existence, leurs voix et leurs traits sont ceux de 16 célèbres acteurs rohmériens.
    Une aventure artistique qui révèle un processus de création unique.

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