Invictus de Clint Eastwood (2009)

Comme pour son diptyque Mémoires de nos pères/Lettres d’Iwo Jima, le point de départ d’Invictus est une photo, entrée dans l’histoire car l’image symbolise la réconciliation en cours entre blancs et noirs en Afrique du sud en 1995.

En un seul plan, Clint Eastwood résume toute la situation qui prévalait encore en 1994 au moment de l’élection au pouvoir de Nelson Mandela. Un travelling latéral accompagne le mouvement collectif d’une équipe de rugby à l’entrainement. Au bout de ce mouvement, la caméra continue de fuir vers l’avant, laisse découvrir l’environnement. Une route sépare deux terrains. Sur l’un, de jeunes blancs s’échangent le ballon oval. Sur l’autre, des enfants noirs jouent au football…

Désigné un jour par Mandela lui même comme l’acteur le plus à même d’incarner son personnage au cinéma, Morgan Freeman est allé solliciter Clint Eastwood, le cinéaste qui l’a dirigé dans Impitoyable et Million Dollar Baby, pour la réalisation d’Invitus, d’après un roman de John Carlin.

Invictus (1) raconte l’importance de la coupe du monde de Rugby organisée en 1995 en Afrique dans le processus d’unification du pays, axe majeur de la politique de Mandela une fois au pouvoir. L’histoire du sport à déjà fournit quelques symboles forts des enjeux sociaux et historiques qui se déroulaient au moment des compétitions. Le plus célèbre reste sans doute le triomphe de Jesse Owens aux Jeux Olympique de Munich en 1936 devant Hitler. Moins connu, le parcours héroïque de l’équipe nationale d’Allemagne lors de la Coupe du monde de football en 1954, qui permit de resouder une nation entière, traumatisée par la Seconde guerre mondiale. D’une importance tout à fait moindre, la rencontre entre les Etats-Unis et l’Iran lors de la Coupe du monde de foot en France en 1998 représentait là aussi un symbole fort des relations diplomatiques entre ses deux pays. Le sport ne doit jamais être pris en otage par la politique, n’a pas vocation à être instrumentalisé, et pourtant en quelques occasions il peut s’avérer déterminant par ce qu’il représente.

C’est ce qu’a compris Nelson Mandela lorsqu’il est devenu président de l’Afrique du sud exactement un an avant le déroulement de la Coupe du monde de Rugby dans son pays. Clint Eastwood illustre les enjeux de la politique de Mandela avec une aisance remarquable. Invictus n’est pas un film sur la coupe du monde de Rugby, mais bien sur Mandela et son action politique. Le président fait preuve d’un volontarisme forcené et exemplaire qui surprend et déstabilise radicalement ceux qui le côtoient. La haine entre blancs et noirs ne s’est pas évaporée du jour au lendemain en même temps que la fin de l’Apartheid a été proclamée.

Ce que nous montre Eastwood, c’est comment Mandela a choisit de faire table rase du passé et a exhorter tout son peuple, à commencer par ses proches, à se comporter comme lui. Les Afrikaners craignent les représailles des noirs au pouvoirs. Mandela va s’efforcer de démontrer le contraire et il sait tout le poids des symboles. Lui est un héros de la résistance, a subit  27 ans d’emprisonnement en martyr pour la cause du peuple noir d’Afrique du Sud. De cette douloureuse expérience, il tire sa légitimité. Mandela a conscience qu’il est temps de mettre fin au cycle de haine mutuelle et qu’il est temps de construire ensemble. Il compose une administration ou blancs et noirs sont forcés de travailler ensemble, il réussit à convaincre la fédération de rugby de ne pas humilier les Afrikaners en leur ôtant le dernier symbole de leur identité : l’équipe et le maillot des springboks.

Eastwood rend compte de cette habilité politique, de la fragilité du processus, avec une grande éloquence. Son travail a vraiment valeur de témoignage, de la même manière que ce qu’il a réussit avec Mémoire de nos pères et Lettres d’Iwo Jima. L’acuité du regard d’Eastwood dépasse le seul cadre des faits politiques. Le cinéaste se révèle également brillant dans sa façon d’appréhender l’évènement sportif, l’ambiance dans les stades, le jeu en lui même. Matt Damon est certes un peu moins grand et costaud que le véritable François Pienaar, capitaine des Springboks lors de cette coupe du monde, mais il est tout à fait crédible – plutôt bien affuté physiquement d’ailleurs – ce qui est davantage important. Mais d’une manière générale, le cinéaste parvient à recréer le jeu sportif, ses subtilités, son intensité, sa tension, avec une maîtrise quand même assez étonnante. Il y a un même soucis du détail dans l’observation des coulisses que dans celle du terrain. Plus remarquable encore, Eastwood parvient à réaliser ce que presque aucun cinéaste n’a jamais réussi à faire : mettre en scène le sport et réussir à lui conférer une puissance dramatique et émotionnelle presque équivalente à celle que l’on peut vivre sous le feu de la passion dans l’instant ou se déroule l’évènement.

Invictus est un film passionnant et fort. Ici, le pathos ne dégouline jamais, comme cela a pu arriver parfois dans certains des films d’Eastwood de ces dernières années. L’émotion est pure, le film est juste, le témoignage est important. Les acteurs sont eux parfaits dans leurs incarnations respectives. Un grand film donc.

Benoît Thevenin

(1) Invictus est le mot latin pour « invincible » mais aussi le nom d‘un poème de William Ernest Henley (1875) qui accompagna Nelson Mandela lorsqu’il était prisonnier politique et dans lequel il puisa résistance et courage par rapport à ce qu’il endurait. Dans une scène du film, Mandela offre le poème à François Pienaar en souhaitant au capitaine des Springboks d’y puiser la motivation pour aller remporter le trophée.

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Filmographie de Clint Eastwood (Réalisateur) :

1971 : Un frisson dans la nuit
1973 : L’Homme des Hautes Plaines
1973 : Breezy
1975 : La Sanction
1976 : Josey Wales hors-la loi
1977 : L’Épreuve de force
1980 : Bronco Billy
1982 : Firefox, l’arme absolue
1983 : Honkytonk Man
1984 : Le Retour de l’inspecteur Harry
1985 : Pale Rider, le cavalier solitaire
1986 : Le Maître de guerre
1988 : Bird
1990 : Chasseur blanc, cœur noir
1990 : La Relève
1992 : Impitoyable
1993 : Un monde parfait
1995 : Sur la route de Madison
1996 : Les Pleins Pouvoirs
1997 : Minuit dans le jardin du bien et du mal
1999 : Jugé coupable
2000 : Space Cowboys
2002 : Créance de sang
2003 : Mystic River
2004 : Million Dollar Baby
2006 : Mémoires de nos pères
2007 : Lettres d’Iwo Jima
2008 : L’Échange
2009 : Gran Torino
2010 : Invictus

  • Nelson Mandela au cinéma :

1987 : Mandela de Philip Saville (TV), avec Danny Glover
1997 : Mandela and de Klerk de Joseph Sargent (TV), avec Sydney Poitier
2007 : Goodbye Bafana de Bille August, avec Dennis Haysbert
2009 : Endgame de Pete Travis, avec Clarke Peters
2010 : Invictus de Clint Eastwood, avec Morgan Freeman


Invictus – Note pour ce film :
Sortie française le 13 janvier 2010

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Aucun commentaire sur “Invictus de Clint Eastwood (2009)”

  1. Foxart dit :

    J’adore Eastwood, je suis même très fan de certains de ses films mais, là, rien qu’à voir la bande-annonce… je bloque…
    Je ne le sens pas du tout…
    La critique (et les blogueurs…) semblent d’ailleurs très divisés sur ce film…
    J’ai l’impression d’une mièvrerie sans nom…

  2. Benoît Thevenin dit :

    ah non c’est tout sauf mièvre !!!

  3. MaG dit :

    pas encore vu ! surement ce WE !

  4. […] la toile, les avis sont très positifs. Lanterna Magica salue un travail de témoignage dans le même esprit que celui du dyptique sur Iwo Jima, ce qui est […]

  5. Christophe Ruggia dit :

    Je l’ai vu hier soir et j’ai adoré : grand film, jamais mièvre mais très émouvant, qui raconte une histoire qui se devait d’être racontée. Matt Damon est de mieux en mieux, je trouve, au fil du temps et le grand Morgan Freeman trouve peut-être là le rôle de sa vie. J’espère qu’Eastwood va tourner encore longtemps.

  6. Christophe Ruggia dit :

    J’ai oublié de dire que j’étais aussi entièrement d’accord pour la manière dont les scènes de rugby sont filmées : c’est limpide et fluide, vraiment remarquable. :)

  7. Didier Callix dit :

    Bien filmé, bien joué… Un spectacle « bien familial » par excellence ! Certes… Pour le reste, l’histoire est bien édulcorée… C’est donc au goût de chacun.
    Pour moi, on est vraiment dans l’angélisme et lorsque les spectateurs applaudissent à la fin du film, je me demande pourquoi pas une standing ovation ou même une OLA ! Allez donc voir « Disgrace » avec J.Malkovich pour voir une autre facette moins pathos de l’après apartheid.

  8. Paul Napoli dit :

    Je prefere Clint Eastwood en réalisateur que Arnold en Gouvernator.

    4/10

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