Nuages de mai (Mayis sikintisi) de Nuri Bilge Ceylan (2001)

Avec Nuages de mai, Nuri Bilge Ceylan (prononcez Nouri Bilgey Djélane) invite à voir, d’une certaine manière, le hors-champ de son premier long-métrage Kasaba (1997). Ceylan y filmait ses souvenirs d’enfance à travers le regard attentif qu’un garçon de 9 ans pose sur ses proches et le monde adulte. Ceylan s’inscrivait dès lors immédiatement dans la tradition d’un certain cinéma de l’innocence, contemplatif et sensible, et qui ne manque pas de rappeler le cinéma iranien (Kiarostami en particulier), ou celui d’un cinéaste comme Darejan Omirbaev (Kardiogramma, 95).
Nuages de mai se présente quelque peu comme le hors champs de Kasaba dès lors (même si pas seulement bien sûr) qu’on y retrouve les mêmes personnages, les mêmes acteurs aussi. Ils ne sont d’ailleurs pas des acteurs mais la famille du cinéaste. Le cadre du travail de Ceylan est d’abord celui de l’autofiction, cela se vérifiera encore plus tard avec Uzak (2002) et Les Climats (2006).


Le point de départ de Nuages de mai est le retour au foyer familial, dans la campagne turque apparemment éloignée des villes, d’un jeune cinéaste incarné par Muzaffer Özdemir. Le personnage, y compris par sa relative ressemblance physique, est l’évidente projection de Ceylan dans le film.

Muzaffer revient à la maison et retrouve ses parents. Armé d’une petite caméra vidéo, il commence à filmer le quotidien, enregistrer le réel. Muzaffer explique bien que cette caméra sert avant-tout à préparer un tournage futur. Il ne fabrique pas encore son film, dont on imaginera bientôt qu’il pourrait bien s’agir de Kasaba ou de son court-métrage Kosa, mais il est déjà dans la préparation et les repérages.

Le dialogue avec la famille, entamé dans Kasaba, se poursuit dans le travail de mise en abîme de Nuages de mai. Ceylan rend compte d’une incompréhension entre les générations. Muzaffer est décrit par son père comme quelqu’un qui fait des films qui ne rapportent pas d’argent, sous-entendu par là qu’il échappe à tout raisonnement pragmatique de la vie d’un honnête homme. Muzaffer est un romantique, un rêveur, engagé dans un processus artistique qui s’oppose à l’attachement forcené du père pour les terres dont il est propriétaire, qu’il a travaillé toute sa vie, et que les autorités turques tiennent à acquérir.

Les générations ne se comprennent pas mais il n’y a pas de conflit non plus. Muzaffer réussit même à convaincre ses parents de jouer pour lui devant la caméra. L’organisation par Muzaffer d’un tournage, avec caméra fixée sur un pied et dialogues scénarisés et répétés, va témoigner d’une apparente appréhension de Ceylan pour le cinéma narratif. Nuages de mai pose en effet plutôt un regard observateur sur les personnages, contemplatif sur la nature, mais ne fixe aucun enjeu dramatique, ne cherche pas véritablement à raconter une histoire. Ainsi, lorsque le personnage de Muzaffer commence véritablement à produire de la mise en scène à l’intérieur du film, il commence à s’égarer, il perd à la fois maîtrise et confiance. Ceylan semble de cette manière dire qu’il est plus doué pour dessiner des portraits, sonder l’âme de ses personnages, capter l’ambiance sonore, la beauté et les mouvements de la nature, que pour raconter une histoire, chose qu’il démentira dans ses films suivants.

La nature prend alors une place fondamentale. Le souffle du film se trouve en premier lieu dans la photographie des paysages de la Turquie rurale. Ceylan s’affirme ainsi clairement comme un cinéaste contemplatif et la nature devient un personnage à part entière, qui nous envoute littéralement par la façon que le cinéaste a de nous immerger à l’intérieur des images. On ressent le moindre souffle du vent, les feuilles qui s’agitent, la présence des animaux, le chant des mouettes, etc. On est d’abord capté par la beauté des images, la construction des cadrages, puis charmé par l’ambiance que Ceylan parvient à rendre compte par son travail. L’expérience de Nuages de mai n’est alors pas seulement contemplative mais aussi et surtout sensorielle.

Cette ambition on la retrouvera dans chacun de ses films, du moins jusqu’à aujourd’hui (son dernier long-métrage reste Les Trois singes sorti en 2008). Le mouvement entre nature et modernité/civilisation est néanmoins récurrent. Nuages de mai consiste initialement à sortir les personnages de la société (la maison, le village) pour les amener à communier avec la nature, laquelle constitue aussi le lien qui unit père et fils. Dans son film suivant, Uzak, Ceylan réalise le mouvement inverse et redéplace le personnage de Muzaffer vers la ville. L’homme, ses paysages intérieurs et extérieurs qui souvent coïncident, c’est la base même du cinéma de Ceylan, un cinéaste en proie au doute, et qui restitue par là même les contradictions qui l’assaillent.

Benoît Thevenin


Nuages de mai – Note pour ce film :
Sortie française le 21 mars 2001

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  1. grell dit :

    puis-je reprendre cet article pour le site svp?

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