L’Echange semble en apparence se démarquer des immédiats derniers films d’Eastwood, Mémoire de nos pères et Lettres d’Iwo Jima. Eastwood délaisse l’Histoire pour un fait divers ténébreux des années 20. En cela, L’Echange paraît plus proche de Mystic River, avec un même partage plus ou moins subtil entre le bien et le mal, et une obsession qui commence à devenir récurrente envers l’enfance martyrisée. L’Echange questionne pourtant sans aucun doute l’Amérique contemporaine.
Dans son parcours d’héroïne fabuleuse, le personnage de Christine Collins (Angelina Jolie, pour une fois assez convaincante), finit par épouser une trajectoire assez proche de celle empruntée par Gilbert Melki dans Très bien merci. Curieuse analogie direz vous. Le film d’Emmanuel Cuau est symptomatique de l’état de la société française aujourd’hui. Le personnage joué par Melki s’y retrouve pris dans un engrenage impitoyable pour la seule raison que son obstination et ses convictions finissent par déranger. Pour Christine Collins, les mécanismes seront finalement identiques, quand bien même l’histoire se déroule 80 ans plus tôt sur un autre continent.
Son obstination à elle consiste à retrouver son fils et à rejeter l’enfant que lui présente la police comme étant ce fils. « He’s not my son ». S’il est une chose qu’une mère doit savoir de manière innée, c’est bien reconnaître sa progéniture. « He’s not my son ». Christine Collins va le marteler encore et encore, sans pour autant qu’elle soit entendue. Seul un pasteur (John Malkovich) parti en croisade contre le système autoritaire et corrompu de la Police accepte de l’écouter, de la croire, de l’aider. Pour la police, il s’agit de consolider les apparences, de fabriquer une sorte de paix sociale. Christine Collins devient donc gênante et bientôt conduite à la marge de la société, dans un hôpital psychiatrique ou sont enfermées beaucoup de femmes non pas malades mais qui posent problèmes (principalement des épouses de policiers qui ont osées porter plaintes contre leurs maris violents).
Ainsi, si Très bien Merci appelle par son cheminement à une prise de conscience, à une forme de résistance, il est difficile d’échapper aussi avec le film d’Eastwood à ce même sentiment. L’Echange pourrait donc peut-être vu sous cet angle politique, et on vous laissera vous forger vos propres convictions à ce sujet. Ce n’est en tout cas pas la première fois qu’Eastwood utilise le passé pour questionner le présent. Mémoires de nos pères et Lettres d’Iwo Jima en témoignent, on l’a dit.
L’Echange n’est pas non plus forcément très politique. On peut évidemment, et très simplement, ce concentrer exclusivement sur la seule narration. L’Echange est un thriller noir et inquiétant et son scénario suffisamment complexe et habile pour happer littéralement l’attention du spectateur. On est là très proche de Mystic River, parce que les thèmes sont finalement assez semblables, parce que les douleurs sont identiques aussi et parce que là encore les enjeux du film sont déjà contenu dans la seule forme.
On réduit bien souvent Eastwood à une simplicité de style, une forme épurée qui trouve son sens dans les constants jeu de lumières clairs/obscurs du cinéaste. Le principe est évident et efficace en même temps qu’il souligne avec force le caractère toujours très manichéen des films de Clint Eastwood. Le paroxysme avait peut-être été atteint avec Million Dollar Baby, mélo assez limpide, à la fois larmoyant et politique (la question de l’euthanasie). La grande faiblesse de l‘Echange, c’est de logner in fine sur Million Dollar Baby, de tirer toujours plus fort sur la corde émotionnelle quitte à nous faire subir une sorte de chantage. Les vingts dernières minutes (d’un film qui dure tout de même 2h20) sont assez épuisantes, et terriblement agaçantes tant Eastwood tire cette corde jusqu’à l’écoeurement. On en arrive alors à ce douloureux constat d’un film ambivalent, à la fois riche et puissant, sans doute une des réussites majeurs du cinéaste, mais malgré tout décevant.
Benoît Thevenin
L’Echange – Note pour ce film :