Pour son premier long-métrage, Dima El-Horr réalise un road-movie qui est un peu l’antithèse de Bosta, l’autobus, autre film libanais, par Philippe Aractingi, tourné en 2005. Le Liban vit au rythme des guerres qui se succèdent. La légèreté de Bosta, malgré une densité de thèmes quand même lourds, balisait une période de paix, une parenthèse qui s’est brutalement refermée avec la mort dans un attentat de Rafiq Hariri, ancien premier ministre libanais, au printemps 2005.
Chaque jour est une fête… a été écrit par Rabih Mrouhé, comédien , auteur et metteur en scène libanais qui est celui-là même qui accompagnait Catherine Deneuve dans le road-movie quasi documentaire Je veux voir de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Le registre onirique choisit par Dima El-horr diffère de celui réaliste adopté par les réalisateurs de Je veux voir. Les deux films ont en commun d’ausculter quelque peu les traumatismes entretenus par la guerre, mais les approches sont donc radicalement différentes.
Le récit de Chaque jour est une fête… est introduit par une première séquence onirique qui donne le ton du métrage. Un couple s’embrasse sous l’eau dans la Méditerranée. Dans le plan suivant, l’homme est menotté et conduit à l’intérieur d’un fourgon. Les premiers plans marquent par leurs beautés, leurs compositions et leurs couleurs éclatantes, mais on ne comprend pas encore ce qui se joue.
Le film évoque le voyage en bus d’un groupe de femmes dans l’arrière-pays libanais. Le véhicule doit les conduire à «la prison des hommes» où sont enfermées leurs maris. Dima El-horr s’intéresse plus particulièrement à trois d’entre-elles, qui ne se connaissent pas et ne partagent apparemment rien de commun.
Le récit est celui de leur errance dans le désert. Le chauffeur du bus est abattu pendant le voyage, obligeant les femmes à poursuivre leur voyage à pied. Cet écueil difficile est étrangement appréhendé. Les femmes ne réagissent pas vraiment, aucune ne se montre choquée, et le tireur reste invisible. On reste dans un cadre toujours très symbolique, dans lequel la cinéaste dessine les blessures du Liban actuel, ses cadavres, ses ennemis insaisissables. Les quelques hommes sont des conducteurs sur lesquels aucune des femmes du film ne pourra vraiment compter. Ainsi, les femmes sont livrées à elles-même, font preuve de solidarité entre-elles. Elles errent en talons aiguilles dans le désert, promènent et assument une féminité, un caractère aguicheur qui parait totalement incongru à l’intérieur de ce no man’s land aride, lourd et pesant tant le soleil frappe.
Chaque jour est une fête… témoigne des blessures que panse encore le Liban mais également de l’émancipation des femmes. Il est notamment question de sexualité, de rapport au corps. Toutes les pistes de compréhension sont contenues dans la métaphore. Le film peut paraître assez étrange tant la narration n’obéit pas à un quelconque réalisme mais à une volonté de rendre compte de l’état du Liban, de sa société, par le symbole, par l’onirisme.
On notera dans les rôles principaux, les participations des actrices palestiniennes Hiam Abbas et Manal Khader, que l’on avait découvert en fiancée d’Elia Suleiman dans Intervention Divine en 2002. La troisième héroïne est jouée par Raïa Haïdar (Le Dernier homme, 2006).
Benoît Thevenin