La Cité des douleurs (Beiqing chengshi) de Hou Hsiao-hsien (1989)


Tourné l’année de la levée de la loi martiale à Taiwan (88), La Cité des douleurs, dixième long-métrage de Hou Hsiao-hsien, témoigne dans un premier temps de la libération de la parole dans l’île. La censure est moins forte, les langues se délient et l’évocation des souffrances historiques subies par les habitants de Taïwan est maintenant possible.

La Cité des douleurs constitue le premier volet par le cinéaste d’une trilogie historique racontant l’Histoire de Taïwan durant le XXe siècle, et le premier film important à sonder la mémoire de l’île.

Le récit débute en août 1945 avec l’annonce à la radio de la capitulation du Japon par rapport au conflit mondial et le retrait des troupes nippones de Taïwan. L’île est alors rendue à la Chine. Cette nuit là, une femme met au monde un enfant. Hou Hsiao-hsien va raconter l’histoire de Taïwan à partir de 45 et du point de vue de cette famille.

Les Lin sont une famille déjà éclatée. L’un des fils, inscrit au contingent japonais occupant les Philippines, est porté disparu. Un autre, envoyé en Chine comme traducteur, est accusé d’être un collaborateur, puis jeté en prison, mais parvient à s’évader et rejoindre sa famille à Taïwan.

Evocation intime de la mémoire collective, La Cité des douleurs est une ambitieuse fresque qui s’attache à dérouler le fil de l’Histoire et surtout à démontrer comment les troubles politiques ont broyé la société taïwanaise de la même manière qu’ils ont détruit, dans le film, la famille Lin.

Hou Hsiao-hsien se place en témoin privilégié mais discret. La caméra reste essentiellement confiné dans le cadre de la demeure familiale, loin du tumulte des évènements extérieurs, mais qui subit de plein fouet ce qui se joue. Chaque plan du cinéaste, souvent fixe, est tel un tableau, savamment composé et riche de sens. La Cité des Douleurs n’est pas seulement un film-témoin important mais également l’oeuvre d’un styliste en pleine possession de ses moyens. La beauté des plans, la sophistication du travail photographique du chef opérateur Chen Hwai-en, ne détourne pas l’intérêt du film de son objet initial. Au contraire, Hou Hsiao-hsien arrive à capter et faire ressentir l’étouffement subit par cette famille, avec toujours beaucoup de retenue et de pudeur, en restant simplement à distance juste. Le cinéaste opère à un véritable travail d’observation des conséquences de la dictature sur l’équilibre d’une famille.

La Cité des Douleurs, lauréat à Venise du Lion d’or en 1989, marque définitivement, et à très juste titre, l’avènement de Hou Hsiao-hsien parmi les plus grands cinéastes reconnus. Le cinéaste poursuivra ensuite son travail de mémoire avec Le Maître des Marionettes (1993), puis Good men, Good women (1995).

Benoît Thevenin


La Cité des douleurs – Note pour ce film :
Année de production : 1988

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