The Ghost-writer de Roman Polanski (2010)


Il ne faut pas suspecter de malice le jury de la 60e berlinale et son président Werner Herzog, pour l’attribution à Roman Polanski de l’Ours d’argent du meilleur réalisateur, alors que ce dernier est actuellement assigné à résidence depuis que la justice l’a rattrapé. The Ghost-writer est un excellent film, peut-être le meilleur de son auteur depuis bien longtemps (Le Locataire en 76 ?), et la récompense est amplement méritée.

Roman Polanski ne tournera sans doute plus de films tant que son cas judiciaire ne sera pas définitivement jugé et il n’est pas question de débattre ici de l’affaire qui l’affecte actuellement. Ce n’est pas le lieu approprié. En revanche, il est un fait que Polanski a été rattrapé par la justice alors qu’il travaillait encore sur le montage de son nouveau film, lequel nous parvient aujourd’hui et doit être envisagé indépendamment des considérations éthiques relatives à son dossier judiciaire en cours. Il y a comme un embouteillage dans l’actualité de Roman Polanski et c’est ici son travail artistique qui nous intéresse.

The Ghost-writer est l’adaptation du roman éponyme de Robert Harris, publié en 2007. Ewan McGregor interprète un écrivain sollicité pour reprendre le manuscrit de l’autobiographie de l’ancien premier ministre britannique. Son prédécesseur dans cette tâche vient d’être retrouvé mort dans des circonstance mystérieuses (accident ? suicide ?) et, à mesure qu’il pénètre dans l’intimité de l’homme politique, le nègre littéraire commence à percevoir que quelque chose cloche. Dans le même temps, de lourdes accusations sont lancées dans les médias contre le politicien. La maison dans laquelle s’est retranchée tout ce petit monde sert alors de PC de crise et l’écrivain devient le témoin privilégié de ce qui se joue.

Avec ce film, Roman Polanski renoue avec un style « à l’ancienne». Le cinéaste élabore un thriller complexe, sur un ton très classique et typiquement hitchockien. La comparaison avec les films du maître du suspens est très souvent faite à la moindre occasion mais rarement justifiée ou justifiable. En l’occurrence, Polanski mérite lui que l’on tisse le lien qui le rapprocherait cette fois d’Hitchcock. De part la façon dont il est emballé et construit, pour ce qu’il renferme aussi de thématiques et d’enjeux narratifs, The Ghost-writer n’aurait pas été renié par le cinéaste des 39 marches et de l’Etau, c’est l’évidence même.

L’affaire qui sème la confusion dans l’entourage proche de l’ancien premier ministre Adam Lang (Pierce Brosnan) nous induit inévitablement à penser à l’action de Tony Blair lorsqu’il fut le pensionnaire du 10, Downing Street, et particulièrement l’affaire des preuves truquées ayant conduit la coalition américano-britannique à s’engager en guerre contre l’Irak de Saddam Hussein. Tony Blair commence lui même à être questionné à propos de son action à ce moment là et ses responsabilités par rapport à l’engagement des troupes britanniques dans ce conflit. La sortie film s’inscrit alors dans un étrange contexte, ou à la fois Polanski et Tony Blair sont au centre des attentions.

The Ghost-writer expose un fonctionnement politique complexe et ténébreux, source de fascination et de paranoïa. La vérité se situe au-delà des frontières de la morale, pas forcément si loin de celles de la loi, mais qui dépeint assez brutalement les moeurs douteuses des hauts-représentants politiques. L’idée du complot est bien là, complot il y a sans doute, mais nous n’avons aucune prise sur ce qui est véritablement en jeu. L’histoire est vue à travers les yeux d’un écrivain qui n’a aucune connaissance politique particulière et qui navigue dans le même brouillard que nous. Nous n’avons alors aucune idée de qui tire les ficelles ni même si quelqu’un tire véritablement les ficelles. La vérité dépasse tout cadre rationnel et/ou matériel. Même les motivations sont difficiles à percevoir. La seul réalité à laquelle nous pouvons nous raccrocher tient au fait que Adam Lang ment, dissimule une vérité que ses collaborateurs préservent sans avoir eux même idée de ce qu’ ils protègent.

Roman Polanski orchestre ce mystère de manière absolument brillante, à travers une mise en scène posée et intelligente, à tel point que lorsque le film s’achève, on éprouve le sentiment (rare) qu’absolument rien ne dépasse. Qu’il s’agisse de la réalisation ou de la seule narration, on a l’impression d’une exécution parfaite.

Passionnant de A à Z, The Ghost-writer doit également une part de sa réussite au travail du compositeur Alexandre Desplat. Sa partition, proprement envoutante, permet de convoquer encore plus facilement le souvenir du cinéma d’Hitchcock. La bande-originale est en tous les cas digne de celles de Bernard Herrman, et peut-être la plus intéressante qu’il ait composé à ce jour.

The Ghost-writer est d’autant plus intriguant qu’on ne peut s’empêcher d’y trouver des correspondances inconscientes de la part du cinéaste par rapport à ce qu’il vit aujourd’hui d’un point de vue judiciaire. Entre les fantômes du passé qui remontent à la surface, le rapport délicat aux Etats-Unis qui est décrit, et cette réplique de Tom Wilkinson qui explique que « nos enfants sont plus puritains que nous (Ndlr : les jeunes gens de 68)… », difficile de ne pas déceler les ambigüités, et les troubles qui pèsent sur Polanski lui-même. The Ghost-writer est en tout cas son film le plus abouti, le plus solide, et le plus intéressant depuis bien longtemps. Un coup de maître étonnant et qu’on ne soupçonnait quand même pas avant de découvrir le film…

Benoît Thevenin


The Ghost-writer – Note pour ce film :
Sortie française le 3 mars 2010

Email

9 commentaires sur “The Ghost-writer de Roman Polanski (2010)”

  1. Foxart dit :

    J’ai vu les 4 étoiles mais en bon fan de Polanski, j’irais le voir mais je ne lis rien pour le moment.
    J’attends ça avec impatience !!!

  2. selenie dit :

    Très bon film en effet… Je viens de sortir de la séance mais si j’ai beaucoup apprécié je n’irais surement pas jusqu’à la note maximale. 3 étoiles suffisent !

  3. valérie dit :

    je l’ai vu hier, j’ai beaucoup aimé, il y a beaucoup d’humour dans ce film, le casting est impec’, ça fait du bien de revoir Ewan Mac gregor dans de bons films!

  4. Axel dit :

    Voilà un film adulte, grand public, intelligent.
    Les acteurs sont brillamment dirigés, la mise en scène l’est tout autant (brillante). Un site (Chronicart pour ne pas le nommer) comparait McGregor à Ben Affleck, en ce qui concernait sa fadeur, si je me souviens bien). Mais en tant qu’acteur, Affleck n’arrive pas à la cheville de McGregor, qui, en un regard ou un sourire, fait toute la différence.
    Bref, un des meilleurs films de ce début d’année.

    Ps : Satisfecit pour Olivia Williams, magistrale. et la scène du jardinier qui, en arrière plan, essaie de ramasser ses feuilles. Du vrai ZAZ ! :-)

  5. Benoît Thevenin dit :

    Je ne comprend pas qu’on puisse dire de McGregor qu’il est fade (mais je ne comprend généralement rien des arguments de Chronicart).
    Déjà pour « I love you Philip Morris », j’avais entendu certain reprocher à McGregor son soi-disant peu de présence, alors même que c’est justement là aussi dans ses regards et ses sourires que s’exprime toute l’émotion, que le jeu passe.
    Effectivement, il nous change des cabotins en tout genre qu’on trouve un peu partout…

    un film adulte, intelligent et réfléchit, oui tout est dit. Du grand cinéma.

  6. valérie dit :

    Voilà j’ai édité ma critique! j’ai trouvé ce film admirable et plus que les procédés politiques je trouve que ce sont les ficelles du storytelling qui me semblent les plus intéressantes dans cet opus.
    je suis en train d’écouter la bande son de Fantastic Mr Fox qui est aussi l’œuvre de Desplat, ce musicien est brillant!

  7. CARBUCCIA dit :

    J’ai vu le film aujourd’hui, avec un préjugé certes favorable parce que j’aime beaucoup ce que fait Polanski. La charge contre les US et les tricheurs de la gouvernance est évidente, et je crois que nos amis d’outre Atlantique ne s’y tromperont pas : au-delà de celui qu’on a surnommé le « caniche de Bush », c’est bien l’univers cynique du Département d’Etat qui est ciblé. Peut-être, inconsciemment, une revanche surles US qui ont conduit le cinéaste à l’exil,nonobstant la faute qu’il a commise… Un film parfait à tous points de vue, chargé d’émotion, jubilatoire et j’en passe. Le frisson du spectateur à la sortie du cinéma, quand il prend conscience qu’il vient de voir un grand film…

  8. arthuria dit :

    En poursuivant POLANSKI avec plusieurs dizaines d’années de retard, même s’il ne s’agit pas de l’exonérer des faits de l’époque, les USA n’ont-ils pas voulu lui faire payer ce film qui était sur le point de sortir et que je trouve extrêmement destabilisateur et courageux ? Impossible en effet de ne pas faire de parallèle entre cet ex 1er Ministre britannique et cet autre que nous avons vu inconditionnellement soutenir les USA, contre le reste de l’ Europe, , notamment dans leurs mensonges conjoints à propos des armes irakiennes….

  9. bruno chauvierre dit :

    Après avoir vu ce film, je pense à tous ces bouquins bidons écrits par les « nègres » de ceux qui nous gouvernent, je pense aux écoutes, aux polices politiques, aux barbouzes, aux crimes impunis pour raisons d’Etat. Dans le film, le nègre, pour avoir balancé tout ça, est assassiné entre deux voitures. C’est la démocratie que l’on tue dans la rue. Ses meurtriers ne sont jamais rattrapés par la Justice, comme l’est pourtant Polanski, accusé, lui, d’être accusé !

Laisser une réponse