Une éducation (An Education) de Lone Scherfig (2009)

En lice pour les prochains Oscars (dans la nuit de dimanche 7 mars), Une éducation n’est certainement pas favoris mais se voit quand même projeté sur le devant de la scène, suscite une petite attention qui pointait déjà à la mention du nom de Nick Hornby pour l’écriture du scénario.

L’auteur de Carton Jaune, High Fidelity et Pour un garçon, séduisant dès lors qu’il s’agit de décrire le délicat écart entre douceur et mélancolie du sentiment amoureux, adapte un article de la journaliste du Sunday Time Lynn Barber, écrit à l’origine pour le magazine littéraire Granta et inspiré de sa propre expérience à elle. Lynn Barber a depuis publié son autobiographie, également intitulée An Education et qui a été publié à quelques semaines d’intervalle de la sortie du film.

La réalisation du long-métrage est revenue à la cinéaste danoise Lone Scherfig, laquelle à démontré en deux films (Italian for Beginners en 2000 et Wilbur en 2002), son habileté à manier différents registres, à passer subtilement de la comédie à la tragédie sans perdre jamais l’équilibre. Cette qualité là est essentielle aussi à la réussite d’Une éducation, à la fois comédie de l’innocence, récit iniatique et peinture sociale de société anglaise du début des années 1960.

Jenny (Carey Mulligan), brillante lycéenne à l’avenir semble t’il tout droit tracé vers Oxford, rêve d’émancipation, de douceur de vivre, se projette dans l’image d’un Paris dont elle connait quelques senteurs grâce aux chansons, livres et films français qui la passionnent. Elle fait un jour la rencontre de David (Peter Sarsgaard), un homme de deux fois son âge. Un jeu s’instaure entre eux, ils s’intriguent et se plaisent mutuellement. Lui est sous le charme de la fraîche ingénue, de son caractère sophistiqué et de sa spontanéité. Elle est sous l’emprise de cet homme charmant et doux, qui conduit une belle voiture et commence à l’aider à s’évader de son petit monde très étroit et sans grande perspective.

La différence d’âge entre les deux personnages ne présente aucun enjeux moral dans cette histoire. Ca ne manque pas d’intriguer dans un premier temps, lorsque les parents de la jeune fille accueillent avec toute leur bienveillance le loup déguisé en agneau qui va leur arracher leur fille unique. L’écueil est rapidement dépassé et le véritable intérêt du récit se porte ailleurs. Si le film est le portrait d’une jeune fille sur le point de devenir adulte, c’est tout de même le contexte sociale qui détermine tout entier autant le parcours de l’héroïne que la qualité de l’histoire.

Une éducation se déroule au début des années 60 dans une petite ville anglaise qui n’offre aucune opportunité satisfaisante aux yeux de Jenny. Peu à peu, se dessine  une problématique qui est comme l’amorce du récit des Noces Rebelles. Dans le film de Sam Mendes, le couple est établit, la femme a rangé ses illusions de jeune fille et entretien une classique vie de bonne épouse, de bonne femme au foyer. Par rapports aux Noces Rebelles, Une éducation pourrait presque être sous titré « Avant qu’il ne soit trop tard ». Jenny est a un âge ou les choix se font qui détermineront toute sa vie, des choix qui ont déjà été fait par le couple Wheeler chez Mendes, mais qui les étouffent déjà alors qu’il ne sont qu’au début de leur chemin. Jenny se retrouve comme les époux Wheeler avant elle, à arbitrer un choix de vie limité à deux hypothèses, l’une fantasmagorique, l’autre classique mais qui permet de rentrer dans le moule social, de s’accomoder des conventions. Jenny a soif de découvrir toujours de nouvelles choses, de s’époumoner à rire, chanter, s’amuser. L’école a représenté pour elle la seule voie possible pour s’affranchir d’un morne destin dans sa ville trop tranquille. La rencontre avec David lui offre un racourci qu’il est tentant d’emprunter, au mépris de tout ce qu’elle a pu apprendre jusqu’alors et des sacrifices que ses parents et elle-même ont consentis.

Jenny est alors certes dans l’admiration de son ainée. Elle est séduite et sous son emprise. Pourtant, à l’instar du couple Wheeler , le monde dans lequel elle souhaite vivre est illusoire. Jenny devra surmonter des déceptions et des trahisons plus ou moins graves. L’adolescente est en train d’expérimenter la vie, ses joies et ses coups bas, en même temps qu’elle participe elle aussi de la construction d’un petit monde complètement toc ou tout le monde se ment pour entretenir le rêve. Il en va de cette histoire qui selon ces principes alterne moment légers, quasi burlesques parfois, et une plus profonde gravité qui vient faire équilibre.

Lone Scherfig manie a merveille ses variations infimes qui soudain noircissent le tableau. Elle avait déjà fait cette démonstration éloquente avec ses précédents films et gère encore bien l’effet ici, de façon discrète, sans jamais forcer le trait, et en se reposant sur une mise en scène empreinte d’un classissisme certain mais qui coïncide idéalement avec le contexte social, ses codes et ses valeurs qui régissent finalement tout. L’espace est ténu pour une émancipation qui n’a que peu de champs pour s’épanouir véritablement.

Le film fonctionne également parfaitement par la grâce de sa jeune héroïne. Carey Mulligan, dont le visage rappelle un peu des actrices comme Michelle Monaghan et Rachel McAdam, est une vraie révélation tant elle parvient à rendre compte de toutes les nuances de son personnages et des expériences qui l’affectent. Le rôle vaut à l’actrice une première nomination aux Oscars dans une catégorie ou le pronostic reste relativement ouvert. Certains la comparent déjà à Audrey Hepburn, d’autant qu’elle est citée pour reprendre le rôle d’Elza Doolittle dans le remake à venir de My Fair Lady. C’est sans doute précipité mais Carey Mulligan possède un même petit charme simple, élégant, et raffiné, fragile aussi, qui autorisent peut-être la référence. En regard de son interprétation de Jenny dans Une éducation, elle a cependant un potentiel évident.

On notera aussi, dans le film, la belle galerie de seconds rôles tous parfaits : Alfred Molina et Cara Seymour pour les personnages des parents, Rosamund Pike, Sally Hawkins, Emma Thompson, mais aussi Olivia Williams, que l’on retrouve ce mois-ci dans The Ghost-writer de Roman Polanski.

Une belle distribution donc, pour un film qui le mérite. Sous son apparence légère et convenue, Une éducation dessine le portrait passionnant d’une jeune fille qui souhaite grandir, peut être trop vite oui, mais qui symbolise aussi toute les difficultés imposées aux femmes, spécialement à cette époque, pour se trouver une place dans la société.

Benoît Thevenin


Une éducation – Note pour ce film :

Sortie française le 24 février 2010


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Aucun commentaire sur “Une éducation (An Education) de Lone Scherfig (2009)”

  1. Axel dit :

    Un film très recommandable avec une belle découverte, Carey Mulligan, qui me fait penser pour ma part à Michelle Williams… Et décidément, j’aime beaucoup Lone Scherfig (ah… Wilbur…)

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