Le Guerrier silencieux (Valhalla Rising) de Nicolas Winding Refn (2010)

Film rebaptisé Valhalla Rising, Le guerrier des ténèbres pour sa sortie DVD/Blu Ray chez Wild Side.

Nicolas Winding Refn ne filme jamais la violence exactement de la même manière. Le cinéaste danois, quarante ans seulement cette année, s’était révélé de façon cinglante avec Pusher en 1996, premier volet d’une trilogie brutale, sans compromis, et qui nous assénait comme un gigantesque coup de poing dans la face. Difficile de s’en relever. Bronson (2009) et Le Guerrier silencieux, témoignent de la fascination de Nicolas Winding Refn pour la violence, mais aucun de ces films ne se ressemblent. Pusher mise sur un certain réalisme, un style à fleur de peau sans doute hérité de Scorsese et Mean Streets/Taxi Driver quand Bronson s’inscrit dans un registre volontairement grotesque ou la violence est esthétisée outrancièrement. Le Guerrier silencieux s’envisage encore différemment. C’est un film avant tout sensoriel et si tous les films de Nicolas Winding Refn peuvent être décrit comme proposant une expérience relativement atypique de cinéma, Le Guerrier silencieux relève pour le coup bien  davantage de l’expérience, mystique même.

Le point commun entre Pusher trilogy, Bronson et Le Guerrier silencieux, ce sont ces personnages charismatiques et violents qui ont tous le corps marqués de tatouages. One Eye (Mads Mikkelsen, déjà vu chez Refn dans Bleeder et Pusher) s’inscrit dans cette suite. Il est un guerrier muet, prisonnier d’un redouté chef de clan, mais qui réussit grâce à un enfant à se libérer de ses chaînes et s’échapper. La violence surgit immédiatement, se différencie aussitôt de celle de Bronson. Nicolas Winding Refn n’échappe pas à une certaine esthétisation, mais le style est cette fois très sec, qui fait ressentir toute la force et toute la brutalité du héros. D’emblée, le film impressionne, sans pour autant choquer, car si le cinéaste arrive effectivement à marquer le spectateur, si la puissance de One Eye se fait inévitablement ressentir, la barbarie des scènes est mise en scène sans aucune volonté d’écoeurer l’audience. Une distance est maintenue. C’est plus le choc des coups portés qui nous prend à la gorge que la vue du sang.

Les scènes violentes vont parsemer un récit limpide qui n’a aucune ambition narrative. Nicolas Winding Refn ne raconte pas une histoire mais accompagne le voyage de son héros dans une sorte de descente aux enfers. Le film est quasiment muet du début à la fin, en cohérence avec le personnage. Ce n’est alors pas les quelques dialogues qui nous achoppent, mais plutôt nos sens mis en éveil. Le Guerrier silencieux relève de l’expérience mystique tant le cinéaste triture images et sons et nous installe dans une ambiance trouble et inquiétante, à hauteur des personnages perdus dans un brouillard épais, qui ne savent pas vraiment ou ils se dirigent et qui sont bientôt sous la menace d’un ennemi invisible. La longue remontée du fleuve dans le brouillard nous amène à penser à la longue séquence, dans la brûme aussi, que l’on trouve dans Kinatay de Brillante Mendoza. Les effets sont relativement semblables. On ressent une impression presque physique, on est envouté et pleinement conscient d’une descente aux Enfers qui s’amorce malgré que l’on ne sache absolument pas, pas plus que les personnages auxquels on est sensés s’identifier un peu dans ces films, ou on va et combien de temps le voyage va durer.

Le Guerrier silencieux est un film dans lequel on rentre, dans lequel on accepte d’accompagner les personnages dans leurs parcours. Nicolas Winding Refn ne nous propose pas une expérience classique de cinéma, mais un véritable trip sensoriel et même physique. Si on ne s’abandonne pas aux exigences du cinéaste, difficile d’être sensible à ce qu’il offre, mais sinon, le film est réellement envoutant et impressionnant.
Le seul regret finalement tient au fait que les rares dialogues du film sont en anglais. Ce n’est qu’un détail, mais un détail qui casse un peu l’élan du film. Pour quelques lignes de dialogues seulement, l’effort aurait pu être accomplit de faire parler les personnages dans leur langue. Le film se déroule dans la Scandinavie médiévale au milieu de quelques guerrier Vikings. L’utilisation du norrois, la langue viking, aurait renforcée cette impression d’un film singulier qui irait jusqu’au bout de ses intentions, de son ambition expérimentale. Ce n’est là qu’un petit détail, mais qui compte quand même, et c’est vraiment dommage.

Benoît Thevenin


Le Guerrier silencieux – Note pour ce film :

Sortie française le 10 mars 2010

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7 commentaires sur “Le Guerrier silencieux (Valhalla Rising) de Nicolas Winding Refn (2010)”

  1. Vance dit :

    Je me le mets sur la liste alors. Merci !

  2. Foxart dit :

    Je suis justement en train de découvrir la trilogie Pusher, je n’ai vu pour le moment que les deux premiers mais je les ai beaucoup aimé.
    Je sens que je vais vite me faire tous les autres du réal, dont celui ci qui m’a l’air assez singulier pour le peu que j’en ai vu !

  3. Vlad dit :

    Qu’est ce que je me suis ennuyé devant ce film sans queue ni tête pour moi. C’est peut être pas ma came tout simplement mais en tout cas j’ai bien failli m’endormir plusieurs fois tant il ne se passe jamais rien…

  4. Boustoune dit :

    Je suis surpris que tu aies aimé ce film-là, cher Benoît…
    Parce que tu avais détesté « Bronson », parce que tu deviens souvent féroce quand des cinéastes empruntent à ton maître Kubrick comme ici (la colonne de pierre qui rappelle le monolithe de « 2001 », le lent voyage vers l’inconnu,…).

    Pour ma part, autant j’avais aimé sa mise en scène pour « Bronson » et « Pusher », autant là, je n’adhère pas totalement.

    C’est vrai que l’atmosphère est envoûtante et cela fonctionne jusqu’à ce voyage dans la brume où les personnages commencent à voir leur foi vaciller. Mais après, ça devient un peu longuet. On devine quand même assez facilement où veut nous emmener Winding Refn et du coup, le voyage met du temps à s’achever et l’ennui s’installe…

    Cela étant, il est vrai que le cinéaste propose quelque chose de totalement atypique et rien que pour voir certains spectateurs bouffeur de popcorn quitter la salle en pestant contre ce qu’il croyaient être un film d’action ultraviolent, ça valait le détour!

  5. Benoît Thevenin dit :

    Non, je m’insurge, je ne peux pas te laisser dire ça.

    Kubrick est le cinéaste auquel la plupart des cinéastes de la génération actuelle se réfèrent, comme ceux de la générations Kubrick se référaient à Welles. J’aurais pas finit de m’énerver si tu disais vrai.
    Sauf que voilà, j’essaye d’être toujours un minimum objectif, et honnête dans mon regard sur les films. Je n’ai pas black listé Refn à cause de Bronson, ca ça n’aurait pas été honnête du tout…

    ce que je supporte pas, c’est les comparaisons foireuses. Et Comparer Bronson à Orange Mécanique, je trouve ca autant court en idée que comparer MrNobody à 2001, ou Valhalla Rising à 2001 aussi (désolé :-s).

    Je trouve qu’il se passe avec Kubrick exactement ce qu’il se passe avec Hitchcock depuis 40 ans, on compare tout et n’importe quoi à ce qu’ils ont fait et j’aimerais un peu de mesure.

    Les comparaisons Bronson/Valhalla/Kubrick, ne sont pas ridicules à mes yeux, mais tirées par les cheveux, c’est tout. Il se trouve que Kubrick est le cinéaste que je connais de loin le mieux, alors il y a des comparaisons sur lesquelles je tique plus facilement. Mais ca c’est par rapport à ceux qui expriment ce genre de comparaisons, pas les cinéastes eux même.
    D’ailleurs je suis ravi quand je vois les cinéastes utiliser intelligemment Kubrick, comme ils peuvent le faire avec d’autres cinéastes, et de ce point de vue, Refn est assez fort pour diluer tout un tas de références pas évidentes et pas déterminantes tant il arrive à affirmer sa singularité, sa personnalité et un certain style.
    Et je dit ça, mais je ne suis pas le dernier à faire des comparaisons foireuses, celle avec Kinatay dans ce texte, elle est discutable par exemple. C’est le jeu de la critique aussi et la comparaison à valeur de point de repère pour les lecteurs. On a donc le droit de tirer par les cheveux, c’est pas moi qui vais en faire le procès, quand bien même je ne suis pas d’accord.

  6. Ariane dit :

    J’ai adoré ce film, je lui aurais presque mis un 10/10. Une atmosphère mystique et mystérieuse dans laquelle on est aspiré, une photographie magnifique, des acteurs qui sans presque parler nous deviennent familiers.
    J’ai découvert Nicolas Winding Refn avec Bronson, et maintenant je ne quitte plus des yeux ce réalisateur !
    Son prochain film sera vraisemblablement un thriller western tourné en Asie qui aura le doux nom de Only God Forgives. Bref, j’attends !

  7. Foxart dit :

    Le navet de l’année pour moi, une imposture !
    J’ai détesté…

    http://foxart4.blogspot.com/2010/05/la-grenouille-et-le-boeuf.html

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