Rome plutôt que vous (Roma wala intouma) de Tariq Teguia (2008)

En deux films (Rome plutôt que vous, Inland) Tariq Teguia s’est affirmé quand un cinéaste qu’il est urgent de suivre. Rares sont les films maghrébins à nous parvenir et surtout, rare sont ceux qui comme Rome plutôt que vous affichent une maîtrise cinématographique autant éloquente. Dès ses premières images, Tariq Teguia pose un rythme, prend le temps d’observer ce qui entoure ses personnages. On est pas a proprement parler dans la contemplation. Les plans sont composés, le travail du cinéaste se perçoit immédiatement, mais cette façon de nous installer dans le récit répond plus sûrement d’une volonté de représenter et faire ressentir la routine dans laquelle est engluée les personnages.

L’Alger que filme Tariq Teguia est un Alger désincarné, désert, quasi abandonné et peuplé seulement de quelques spectres. Kamel et Zina sont à quelques heures de quitter leur terre natale. Ils cherchent un moyen de s’évader. Il y a une espèce de contradiction entre les lignes d’horizons qui s’offrent à la vue des personnages et l’inexistence presque absolue de perspectives auxquelles ils peuvent se raccrocher dès lors qu’ils resteraient en Algerie. Les lignes d’horizons renvoient alors inévitablement à son autre évocation possible, celle que l’herbe est plus verte ailleurs, que la vie est plus facile, moins lourde de l’autre côté de la mer. Rome plutôt que vous, plutôt que mourir ici à Alger sans tenter de construire un avenir peut-être plus évident à envisager en Europe.

Le cinéaste suit l’errance de ces personnages dans le quartier de la Madrague. Les rues sont vides, les bâtiments délabrés. La ville est comme abandonnée, figé dans un passé dont elle ne se relève pas mais qui en même temps ne porte pas à première vue les stigmates représentant ses blessures. Il y a une impression de  décomposition, de résignation qui est exactement le sentiment qui anime les personnages. Alger est coincée, qui n’offre aucun repère, aucun symbole, mais ou la vie tente se réinstaller quand même. Tariq Teguia inscrit la perdition de Kamel et Zina dans une sorte d’ambivalence, avec des pulsions de vie qui arrachent les personnages à leur dépression, mais qui est quand même toujours sanctionnée par un retour brutal est implacable à la routine de l’ennui. La contradiction se ressent également à hauteur des personnages eux-même dont l’attachement à leur terre est équivalent à leurs désirs d’échapper au malaise ambiant.

La conclusion de Rome plutôt que vous, d’une certaine manière étrange et dérangeante, rend compte de cette tragédie du quotidien qui est insoluble, même dans le songe d’un eldorado convoité. L’élan est brisé, les douleurs sont profondes.

Rome plutôt que vous révèle un cinéaste ambitieux et talentueux. Le film est parfois maladroit, dans certains mouvements de caméra pas tout-à-fait impeccables notamment, mais le désir de cinéma du réalisateur et sa vraie maîtrise sont malgré tout spectaculaires.
Rome plutôt que vous n’est que le premier long-métrage de Tariq Teguia. Le suivant, Inland, confirmera les promesses déjà enregistrées ici, prolonge une vision de cinéma peu narrative et relativement austère mais qui dégage une véritable puissance d’évocation et de fascination. Tariq Teguia pose sa caméra en témoin des blessures qui meurtrissent l’Algérie contemporaine et poursuit les fantômes qui la hante et la plombe. Pour l’instant, les débuts sont impressionnant, surtout que l’émergence de ce cinéaste au premier plan était inattendue. Ce ne sera plus le cas à donner de maintenant. Tariq Teguia a suggéré tant de promesses qu’on sera attentif à la suite qu’il donnera…

Benoît Thevenin

Filmographie de Tariq Teguia :

2006 : Rome plutôt que vous
2008 : Inland


Rome plutôt que vous – Note pour ce film :

Sortie française le 16 avril 2008

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