Jeudi 8 avril 2004, Alger. Au soir du premier et dernier tour de l’élection présidentielle, une manifestation dénonçant la fraude électorale conduite par trois des candidats au scrutin a été réprimée par la police anti-émeutes. Au même moment, les sympathisants d’Abdelaziz Bouteflika fêtaient la victoire du président réélu avec 83,49 % des suffrages.
C’est dans ce contexte que Viva Laldjérie sort en France. Le film de Nadir Moknèche dissèque une société algérienne en mutation, souvent préjugée et qui cherche une sorte de rédemption. L’Algérie de ce film est l’Algérie d’aujourd’hui, un pays traumatisé par l’islamisme radical, par son passé colonial mais qui s’ouvre peu à peu à la démocratie. Les dernières élections démontrent à quel point la route est encore longue.
Goucem incarne un Alger contemporain. Sous pression terroriste, elle fait le choix d’une vie « normale », travaille pour un photographe et partage sa vie entre un homme marié et des sorties nocturnes en boîte de nuit. Elle est jolie, plaît aux hommes et vit sa sexualité sans complexe. Sa mère, Papicha, vit avec elle dans un hôtel et cède à la nostalgie d’un passé de danseuse de cabaret.
Nadir Moknèche contourne habilement tous clichés et brise tous tabous par rapport à la condition de la femme algérienne. Lubna Azabal, qui incarne Goucem, est enivrante de chaleur, de sensualité, de liberté. Elle rayonne en même temps que la subtilité de son jeu permet de ressentir tous les enjeux qui se tissent autour d’elle, toutes les difficultés de son quotidien, tout le mal être général de la société. Tiraillé entre le désir d’un mariage impossible et l’amour qui se dessine doucement avec un jeune chômeur, elle est comme tout le monde, perdue, mais n’aspire qu’a la vie.
Viva Laldjérie est le second film de Nadir Moknèche. Les analogies avec le premier, Le Harem de Madame Osmane sont évidente : des films sociaux, intimes, sur l’univers des femmes et qui portent un regard sans concession sur la société. Ce film réhabilite aussi, comme Satin rouge, film tunisien de Raja Amari, il y a quelques années, toute une tradition érotique que l’ont trouve dans la littérature arabo-musulmane et qui s’efface derrière l’intégrisme le plus conservateur.
Nadir Moknèche casse le mythe socialiste et nationaliste d’une société sans marginaux, d’une cité musulmane pure. Au lieu de verser dans le conformisme, de flatter le pouvoir, de se conformer aux stéréotypes ordinaires, il montre, dixit Moknèche lui-même, « une société en déliquescence : le vol ordinaire, les relations affectives et sociales biaisées, le port d’armes banalisé, l’indifférence quotidienne, le mensonge érigé en loi et, au bout de cela le meurtre ». Son engagement bouscule les bonnes consciences, choque les fondamentalistes, met a mal les préjugés occidentaux. Moknèche démontre aussi que cette société n’est pas figée, que la démocratie est un choix et un vœu, plus qu’un simple espoir. Il en montre le chemin à suivre.
Benoît Thevenin
Viva Laldjérie – Note pour ce film :