La Servante (Hanyo) de Kim Ki-young (1960)

Remis au goût du jour à la faveur de la World Cinema Fondation de Martin Scorsese et présenté à Cannes Classics en 2008, La Servante est un véritable trésor de cinéma et un film désormais accessible à tous (et gratuitement) grâce à la plateforme cinéphile de The Auteurs. Le film avait déjà été redécouvert par les cinéphiles français à l’occasion de la rétrospective consacrée au cinéaste Kim Ki-young organisée par la Cinémathèque française en 2006. Ainsi, La Servante est le long-métrage le plus célèbre d’un auteur qui a tout de même réalisé trente-deux films entre 1955 et 1995.

La Servante s’envisage d’abord comme une fable sociale. La séquence d’ouverture nous introduit auprès d’une famille apparemment bien constituée, un couple équilibré parent de deux enfants. Tout ce qu’il y a de plus classique. Le mari lit le journal et rend compte auprès de son épouse d’une histoire d’adultère entre un homme et la servante dans sa maison. Le couple commente l’affaire, comme n’importe quel fait-divers, avec une distance maintenue de fait puisqu’ils sont complètement étrangers à cette histoire.

Le mari est pianiste. Les femmes d’un atelier de tissage viennent l’écouter jouer à la sortie du travail. Elles ont le choix entre le club de musique et celui de sport, mais préfèrent le confort du salon de musique par le seul argument que le professeur est beau. Lui ne se rend pas compte qu’elles sont pour certaines d’entre elles amoureuses de lui. L’une lui glisse une lettre enflammée qui lui coutera cher. Quand le professeur, parce qu’il vient d’emménager dans une nouvelle et grande maison, avec étage (détail déterminant dans l’histoire), propose d’enseigner des cours privés, elles sont quelques unes à sauter sur l’occasion de se rapprocher de lui. Sur le conseil d’une, le professeur embauche une servante afin de soulager son épouse fatiguée du travail domestique dans sa nouvelle maison. A partir de là, le ver est dans le fruit.

La servante est une jeune femme au visage inquiétant, à la fois angélique et démoniaque. Kim Ki-young construit un film tout entier déterminé par un fatalisme auquel effectivement on n’échappera pas, mais qui est formidablement mené. Le cinéaste raconte une histoire à la lisière de différents genres. A la fois film érotique et d’épouvante, La Servante est quand même avant tout un drame psychologique où l’image sociale est plus importante que les douleurs familiales, les écrase même.

Au départ, le professeur est un homme droit et intègre. Il est bon père, bon mari, bon enseignant et ne cède pas aux avances des jeunes filles qui tournent autour de lui. Un jour, celle qui a glissé la lettre sur le clavier du piano au début du film se suicide, ne supportant pas le poids du déshonneur qui pèse sur elle, elle qui a osé s’offrir à un homme marié. Le professeur est choqué par cette histoire, encore plus après que la meilleure amie de la défunte confie l’avoir quelque peu poussée au crime tant elle-même est éprise de lui. Troublé par tout ce qui lui arrive, il cède finalement aux avances de la servante, cette jeune femme clairement perverse et que l’on voit systématiquement en position de voyeuse. L’adultère étant commis, la situation va devenir de plus en plus infernale et ingérable, d’autant que la servante exerce bientôt un chantage sordide.

Le huis-clos se transforme en guerre des nerfs, avec un élément fondamental, ce poison pour rat qui menace en permanence telle l’épée de Damocles. Le principe sur lequel repose le chantage initialement, c’est à dire l’idée pour le couple de ne pas être livré en pâture à un scandale public qui les déshonorerait, est certes démodé aujourd’hui mais ne souffre pour autant d’aucune gène. Kim Ki-young orchestre avec intelligence une descente aux Enfers implacable et éprouvante, de telle manière que le film, au moins pour la violence qu’il déploie, s’imprime de façon indélébile dans nos têtes.

La Servante est aussi une oeuvre brillamment mise en scène, avec élégance et style, mais pas seulement. La réalisation entretient elle même la paranoïa générale dans laquelle le film s’inscrit, mais permet aussi de maintenir un équilibre entre un certain réalisme et une inclinaison morbide et grotesque dont le cinéaste s’accomode très bien.
Les ambivalences du récit, l’ambiance trouble et inquiétante qui règne, favorise un intérêt qui ne nous lâche pas et qui au contraire fascine. Le film est d’autant plus captivant qu’il affirme une véritable modernité dans la mise en scène.

La Servante se voit également comme une fable sociale, avec une conclusion cynique et inquiétante qui renvoie à la séquence inaugurale pour mieux avertir le spectateur que personne, et surtout pas lui spectateur innocent, n’est préservé d’emblée contre ce genre de drame…

Benoît Thevenin


La Servante – Note pour ce film :

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5 commentaires sur “La Servante (Hanyo) de Kim Ki-young (1960)”

  1. Fablin dit :

    Un élément à prendre en compte aussi, c’est la place de la femme dans ce film, vu que la Corée était (et l’est toujours en partie) une société basée sur le Confucianisme, qui établit une hiérarchie laissant beaucoup de pouvoir à l’homme.

    Et c’est ce même confucianisme qui place l’honneur au-dessus de tout, étant par la même occasion la source de suicides.

    Enfin bref, bon article ! ^^

  2. SPORTISSE michel dit :

    Comment expliquer qu’un tel diamant réalisé en 1960, antérieur au fameux  »The Servant  » de Losey (1963), ne fasse l’objet d’aucune note dans les ouvrages consacrés au cinéma ? Comment ce film fut-il perçu à l’époque ? Ou fut-il seulement vu et connu ? Car, le cinéma coréen n’était pas encore ce qu’il est devenu. Il me semble que le remake  »The Housemaid » (2010) d’Im Sang-soo soit bien mieux connu. J’attends fort impatiemment cette sortie afin de découvrir cette oeuvre que Jean-Michel Frodon et vous même couvrez de louanges.

  3. Le film fait vraiment partie du patrimoine du cinéma coréen. Par contre, en France et en en Europe en générale, oui peut-être que sa reconnaissance a été plus tardive. Je pense que le cinéma coréen a mis beaucoup de temps à être reconnu par la cinéphilie européenne. J’ai m’impression que c’est venu en même temps que le nouveau cinéma coréen s’est révélé dans les festivals du monde entier à partir de la fin des années 90. Il est devenu à la mode et peut-être cela a favorisé un retour sur le passé, sur le patrimoine.

    Ce film retrouve aussi une actualité par l’entremise de la fondation de Martin Scorsese dont l’objet est justement de réhabiliter des chefs d’oeuvres du cinéma mondial méconnus ou un peu oublié. Grace a cette fondation, La Servante a été revu, va même bénéficier d’une sortie salle, et les cinéphile d’aujourd’hui de se rendre compte de la qualité de ce film important.

    Ceci dit, il est a signalé que le réalisateur Kim Ki-young a fait l’objet d’une rétrospective complète de son oeuvre il y a quelques années à la Cinémathèque française

    Quant à The Housemaid, le remake, sa notoriété vient du fait qu’il a été en compétition à Cannes et qu’il s’agit d’une grosse production, par un réalisateur connu et avec des stars du cinéma coréen actuel.

  4. […] film La Servante (Hanyo) du réalisateur sud-coréen Kim Ki-young, paru quatre ans avant le film de Buñuel, présente une […]

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